Humour
Définition
«C’est Voltaire qui introduit le mot humour dans notre langue. "Les Anglais, dit-il dans une lettre à l’abbé d’Olivet, ont un terme pour signifier cette plaisanterie, ce vrai comique, cette gaieté, cette urbanité, ces saillies qui échappent à un homme sans qu’il s’en doute; et ils rendent cette idée par le mot humeur, humour, qu’ils prononcent yumor; et ils croient qu’ils ont seuls cette humeur; que les autres nations n’ont point de terme pour exprimer ce caractère d’esprit. Cependant c’est un ancien mot de notre langue, employé en ce sens dans plusieurs comédies de Corneille." (*)
L’humour est donc une sorte de plaisanterie. Mais sur quoi et comment l’humour plaisante-t-il? S’il ne plaisantait que sur les choses plaisantes, et s’il ne les montrait que par leurs côtés risibles, il ne se distinguerait en rien de la plaisanterie ordinaire, et il n’y aurait pas lieu d’en faire une manière spéciale de penser et de sentir, un genre littéraire. Mais l’humour s’étend à toutes les choses qui excitent notre curiosité, plaisantes ou sérieuses. Il touche aux questions les plus graves; mais il y touche légèrement; il les effleure ou les suscite seulement, sans avoir la prétention de les résoudre; et souvent cette légèreté de touche, à laquelle se mêle une nuance d’ironie, frappe plus que ne le ferait un air d’autorité ou de conviction.
L’humour est moins dans les choses que dans la manière de les présenter. Il n’y pas de sujet humoristique, mais il y a une tournure d’esprit humoristique, où il entre beaucoup de fantaisie et parfois un peu de scepticisme. Il y a aussi un style humoristique, dont le trait caractéristique est de peindre, et surtout de peindre par le menu. L’humour est ennemi de l’abstraction; il vit dans le concret; il accumule les détails; il ne craint même pas la minutie, et il trouve la poésie dans l’infiniment petit. Au reste, comme il n’a rien d’exclusif par lui-même, il s’allie volontiers à d’autres qualités ou à d’autres défauts. Il n’a même tout son charme que comme simple assaisonnement; là où il règne seul, il engendre la monotonie ou l’incohérence, et sa légèreté devient de l’affectation. Ainsi s’explique l’immense variété du genre humoristique […]. Les Anglais ne prétendent plus, comme au temps de Voltaire, avoir le monopole de l’humour; ils aiment, au contraire, à en chercher la trace dans les autres littératures, à y voir un don de l’esprit humain, semblable à la poésie même. Il n’en est pas moins vrai qu’ils y ont toujours montré une aptitude spéciale. Parmi les grands écrivains français, les seuls qui puissent être rangés dans la classe des humoristes sont Rabelais et La Fontaine; mais il faut ajouter tout de suite qu’ils ont d’autres qualités. Lorsqu’on parle de l’humour de Molière ou de Voltaire lui-même, c’est l’esprit qu’il faudrait dire.
L’humour vit de la contradiction inhérente aux choses humaines. Il traite gravement les petites choses et légèrement les grandes, et il indique par là même que la différence du grand et du petit n’a rien d’absolu, qu’elle ne repose que sur la faiblesse de notre compréhension. Les poètes complets, les Shakespeare, les Goethe, sont humoristiques par occasion, mais ils ne s’arrêtent pas dans l’humour, n’y séjournent pas; ils n’y sont pas tout entiers. Les contrastes de la vie humaine les frappent aussi, mais ils les voient de plus haut, ils savent les concilier dans une vérité supérieure. Les humoristes se contentent de mettre l’un à côté de l’autre les termes d’un contraste; ce sont pour eux comme les données d’un problème dont la solution leur échappe. La contradiction que l’humoriste observe dans les choses il la porte ordinairement en lui-même; il lui manque presque toujours une faculté essentielle, et, par là même, un côté important de l’art d’écrire. Ainsi s’explique peut-être la tendance des humoristes à s’analyser, à se contempler, à s’étaler devant le lecteur. Qu’ils regardent le monde, ou qu’ils se regardent eux-mêmes, ils trouvent partout la même incohérence. Ils écrivent comme ils pensent, ou comme ils rêvent. Leur philosophie fragmentaire, qui tient à une lacune dans leur esprit, amène à son tour un style rompu, désarticulé, qui va par saccades, qui a de beaux éclats et des banalités insupportables. Ils frappent, ils étonnent, ils fatiguent aussi; ils ne donnent jamais la sensation continue du beau.»
(*) Lettre du 20 août 1761
source: Adolphe Bossert, Histoire de la littérature allemande, Paris, Hachette, 1904, p. 515-517.
Enjeux
En en donnant une définition précise, où il l'associe à l'humilité, alors qu'il associe l'esprit (wit) à la justice, Chesterton nous permet distinguer les formes élevées des formes basses de l'humour. Dans le cas de l'humour, l'auteur du bon mot se moque toujours un peu de lui-même en se moquant d'autrui. Il s'identifie à la victime du rire, comme dans ce commentaire d'un vieillard devant son miroir: «Et dire que demain je regretterai ça!» «L"humour, dit Chesterton se caractérise par l'aptitude à rire de soi tout en provoquant le rire d'autrui. Il comporte l'aveu d'une faiblesse humaine, tandis que dans le cas de l'esprit, l'intellect s'erxerce dans toute sa puissance même s'il n'a pour objet qu'un petit point. L'esprit c'est la raison sur le trône du jugement.» Il va sans dire que, comme de nombreux auteurs l'ont signalé, Bergson notamment, l'esprit est distant par rapport à son objet et insensible à lui. «C'est de la prose dans laquelle les vers se sont mis». Dans ce mot d'esprit de Rivarol, à propos de l'oeuvre poétique de l'un des ses contemporains, nulle trace de compassion de l'auteur pour sa victime. Le mot d'esprit est le verdict qui tombe...froidement. «L'esprit dira Chesterton correspond à la vertu divine de justice...dans le mesure où une si dangereuse vertu peut appartenir à un homme. L'humour correspond à la vertu humaine d'humilité, mais il n'en est que plus divin, parce qu'il conserve un plus grand sens du mystère...pour le moment.»1
L'humour se dégrade lorsque, au lieu d'être un aveu de sa propre faiblesse, il prend pour cible une faiblesse d'autrui, avec la distance et la froideur qui convient au mot d'esprit. C'est la caractéristique commune des plaisanteries grossières dont les étrangers ou les personnes handicapées sont souvent l'objet. L'auteur de la plaisanterie devient le juge de l'autre sans faire preuve de la finesse, de la justesse et de l'altitude qui sied à un juge. Dans son jugement sur l'oeuvre poétique de son contemporain, Rivarol est impitoyable, mais c'est une oeuvre qu'il juge, non une personne, une personne qui, au demeurant, jouissait d'une certaine réputation.
Le philosophe Olivier Reboul considère l'humour comme l'une des caractéristiques de la maturité.«Finalement, au-delà même du sérieux, il est une attitude qui semble réellement propre à l'adulte. C'est l'humour. L'enfant en est incapable, sinon à son insu. L'adolescent connaît l'ironie, mais l'ironie n'est pas l'humour. » L'enfant n'est pas encore assez sûr de lui-même pour se moquer de sa propre faiblesse, d'où le fait qu'il s'érige facilement en juge et devient méchant et grossier. L'humour de mauvais goût, chez tant d'humoristes adultes, est un trait infantile persistant dans l'âge mûr.
1-G.K.Chesterton, On lying in Bed and other essays, edited by Alberto Manguel, Bayeux Arts, Calgary, Alberta, 2003, p.133.
Essentiel
«Il ne faut pas être qu'un petit peu mort pour être rigolo», disait Céline.
Et Cioran: «Mystique et humour ne vont pas ensemble». «Ce qui manque à Simone Weil, c’est l’humour. Mais si elle en eût été pourvue, elle n’aurait pas fait de tels progrès dans la vie spirituelle. Car l’humour fait manquer l’expérience de l’absolu. Mystique et humour ne vont pas ensemble.»
Cioran, Cahiers (1957-1972), Gallimard p., 657.
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