L'article d'Air & Cosmos du 14 avril (cf. au-dessus) est maintenant disponible dans son intégralité :
Définir ce que pourrait être l’avion de combat de demain, disposer d’un avion à la fois furtif et maniable, c’est ce sur quoi l’Onera travaille par le biais du projet Superman. Particularité : ce dernier dispose de gouvernes jusqu’alors inusitées en France, les Levcon. [Cet article est paru dans le numéro 2825 d'Air & Cosmos]
Superman et supermanoeuvrabilité
Superman. C’est un des programmes de recherche dévoilé au public par l’Onera, à l’occasion de la visite du DGA et du DGAC qui s’est tenue à Modane, là où est située une partie des grandes souffleries, le 17 mars 2023. Ce programme de recherches vise l’étude du comportement d’un avion de combat aux limites de son domaine de vol, avec pour enjeu la préparation des outils de conception et d’évaluation des aéronefs de combats futurs. « Superman se réfère à la supermanoeuvrabilité. La survivabilité d’un avion de combat résulte d’un compromis entre manœuvrabilité, furtivité et la vélocité », explique Eric Garnier, Directeur adjoint du département aérodynamique, aéroélasticité, acoustique à l’Onera. « Les avions de combats développés en Europe dans les années 1980 ont été conçus en intégrant de façon limitée les contraintes de furtivité. La prochaine génération d'appareil devra réaliser un compromis plus équilibré entre les trois composantes de la survivabilité. Le choix du nom du projet est peut-être un peu mal choisi au sens où il fait peut-être penser à une manœuvrabilité extrême, alors qu’il s’agit plutôt de manœuvrabilité sous contrainte de furtivité ».
Concilier furtivité et maniabilité
Jusqu’alors, les appareils furtifs n’étaient pas très maniables ou du moins avaient une maniabilité inférieure à celles des autres appareils. Mais contrairement à ce que l’on pourrait penser, il est possible de concilier les deux domaines dans une certaine mesure. « Une machine comme le F-22 est à la fois maniable et furtive. Mais au risque de faire grincer des dents, la formule aérodynamique proche de l’idéal pour la manoeuvrabilité reste toutefois celle d’un avion qui n’est pas furtif. Je pense notamment à la famille du Sukhoi 27. Les versions dérivées du Su-35 ainsi que celles équipées de plans canard du même avionneur, avec la poussée vectorielle sur trois axes est un bel exemple. En comparaison, le F-22 n’a qu’une poussée vectorielle deux axes, compliquée par le fait qu’il a fallu qu’elle soit rendue furtive en face arrière. De façon générale, Il y a de toute façon une antinomie, car plus la surface de la dérive est importante et plus la maniabilité de l’appareil est élevée et moins il est furtif. Tout est donc une histoire de compromis. Enfin, il ne faut pas non plus négliger l’aspect spécification du besoin. Sur le NGAD par exemple, les américains semblent vouloir réaliser ce qu’ils nomment un « command plane », un appareil qui vole très haut, destiné à être très furtif, qui dirigera d’autres aéronefs dont des remote carrier. On peut donc imaginer cet appareil comme n’ayant pas besoin d’être très manœuvrant », commente Eric Garnier.
Un beau bébé de 60 cm d'envergure pour 7 kg
Superman de son côté est dans une logique d’un avion qui n’a pas trop sacrifié à la manœuvrabilité sur l’autel de la furtivité. « Cependant, à l’Onera nous ne sommes pas en train de faire un avion de combat mais bien de faire une forme générique qui soit suffisamment réaliste pour avoir les mêmes problèmes que ceux que l’on rencontre sur un véritable avion. L’aéronef choisi est sur une logique s’apparentant au Sukhoi Su-57, c’est-à-dire celle d’un avion manœuvrant qui intègre des contraintes de furtivité. Les formes sont donc dans une logique de compromis aérofurtivité », ajoute Eric Garnier. La maquette générique de Superman est à une échelle d’1/25, elle mesure 60 cm d’envergure pour une longueur équivalente et pèse environ 7 kg. Elle est réalisée dans un alliage d'aluminium et ses gouvernes actionnées par servomoteurs. La maquette a été soufflée dans une soufflerie de recherche du centre de Lille de l’Onera, soit la soufflerie horizontale L1. Des essais sont en cours dans la soufflerie verticale SV4 du centre de Lille.
Levcon ou Contrôleurs de tourbillons en bord d’attaque
Les plans inclinables situés à l'apex sont des Levcon (acronyme de Leading Edge Vortex Controlers, littéralement Contrôleurs de tourbillons en bord d’attaque). « Ces dispositifs nous intéressent particulièrement car ils sont supposés contrôler les tourbillons émis au bord d'attaque de l'aile. Ils sont apparus à la fois sur le Su-57 et sur le Tejas de la marine indienne, mais restent peu connus. C’est en fait l’unique gouverne que nous ne connaissons pas assez », commente Eric Garnier. La maquette est dénuée d’entrée d’air et/ou de tuyères. Car pour le moment, c’est la voilure seule et les interactions avec les Levcon qui sont étudiés.
100 degrés par seconde
« Nous ne nous sommes pas intéressés, dans ce projet, à l'éventuel positionnement des entrées d'air. Il faut cependant s'attendre à des interactions entre les entrées d'air et les levcon pour certaines plages d'incidences. L’exemple du Su-57 montre cependant que cette situation est gérable. Il faut également noter que la maquette est un chef d’œuvre de technicité : les gouvernes bougent à 100 degrés par seconde et que leur positionnement est garanti à 0,1 degrés près. Ceci constitue une prouesse technologique à mettre au crédit du service Lillois du département soufflerie, ingénierie et maquette de l'Onera », explique Eric Garnier. Pour le moment, la maquette n’a été soufflée qu’à « basses » vitesses. « Avec les levcon mobiles, nous ne pourrons pas aller à haute vitesse parce qu’ils n’ont pas été dimensionnés en termes d’effort à cette fin. En version fixe, c’est du domaine du faisable. Les extensions possibles de la maquette seraient autour d’une intégration motrice, d’un ensemble de gouvernes plus complet, la montée en vitesse, puisque pour le moment nous sommes limités aux environs des 200 km/h. Il faut néanmoins se rappeler que la très haute manœuvrabilité ne se fait pas à Mach 2 », commente Eric Garnier. Si la maquette n’est pas sans ressemblance avec la silhouette du Su-57 pour autant les différences sont notables.
Une forme de voilure ressemblante
« S’il ne s’agît pas d’un véritable avion de combat, la forme est à la fois générique et réaliste, de telle sorte qu’aussi bien les problèmes d’aérodynamique que de mécanique des fluides sont très similaires à ceux d’un avion de combat. Cet appareil est issu d’une création, puisque nous travaillons au sein d’un groupe de l’OTAN. La forme en plan avait été décidée par d’autres membres du groupe, lesquels n’avaient pas du tout travaillé les profils, lesquels ont été, après plusieurs itérations, choisis par l’ONERA. La forme générique de l’appareil, représentative, comporte des profils usuels que l’on retrouve dans les avions de combat, sur lesquels nous avons travaillé la cambrure, le vrillage, le rayon de bord d’attaque pour avoir quelque chose de suffisamment réaliste. La forme de la voilure, vue de dessus, ressemble assez à celle du Su-57. Les flèches sont de 45° à l’emplanture au niveau des Levcon, puis 75° et de nouveau 45°», explique Eric Garnier. Un travail a en particulier été réalisé dans le domaine des lois de vrillage, pour limiter l’incidence aux extrémités de voilure et éviter de décrocher les bouts d’ailes en premier. En outre, « Nous nous sommes particulièrement concentrés sur l’équilibrage en tangage. A son incidence en croisière, le moment de tangage de l’appareil est nul. Nous avons réalisé un travail pour être certains d’être équilibré en tangage à la fois aux basses et hautes vitesses, soit jusqu’à Mach 0,85 », ajoute Eric Garnier.
Levcon et écoulements tourbillonnaires
Les Levcon ne sont qu’un aspect du projet, la caractérisation des écoulements tourbillonnaires est un autre sujet d’étude de Superman. « Les tourbillons sont une zone de dépression qui se traduisent sur la paroi par une aspiration, c’est-à-dire une portance tourbillonnaire gratuite. Si les avions de ligne n’utilisent pas cette portance, les avions de combat l’emploient énormément. Il y a des enjeux de mécanique des fluides qui sont cruciaux, entre-autres de comprendre le mouvement de ces tourbillons, leur intensité, leur positionnement. De ces phénomènes découleront les efforts aérodynamiques et en conséquence la trajectoire de l’appareil. Le but de Superman est de faire le lien entre ces tourbillons et les efforts puis des efforts aux trajectoires, le tout en présence de Levcon. Si les russes ont appelé cela « contrôleur », ce n’est pas sans raison puisque c’est une gouverne qui contrôle les tourbillons de bord d’attaque. Cela se voit sur les images, lorsque le Levcon se braque, les tourbillons bougent drastiquement », explique Eric Garnier. Aérodynamiquement, les Levcon modifient le moment de tangage, soit l’équilibrage de l’avion. « Ils donnent une capacité à piquer, en plus des gouvernes de profondeur -qui peuvent être en conséquence de dimensions plus réduites (voir A&C n°2823 « Réduire la surface de la dérive et augmenter son efficacité ») -, avec une cadence plus forte. Typiquement, au cours d’une manœuvre très brutale, au cours de laquelle beaucoup d’énergie a été perdue avec un appareil se retrouve positionné avec le nez très haut, les Levcon permettront de repasser en assiette à piquer pour regagner de la vitesse. Les Levcon manipulent donc ces écoulements tourbillonnaires », explique Eric Garnier.
Eclairer le futur
Les Levcon équiperont-ils les futurs avions de combat aérien ? La réponse ne peut pas être affirmative pour le moment, car le choix de leur emploi ou non appartiendra aux industriels, à savoir les avionneurs, en fonction des choix effectués. L’Onera a cependant fourni ce qui tient de documentation élargie aux intéressés. « Nous sommes dans notre rôle d’éclairer le futur en proposant des nouveaux moyens de mesure, des nouvelles technologies d’actionnement ainsi que des nouvelles stratégies de modélisation, entre autres », conclue Eric Garnier.