Article A&C, avec le titre : Comment expliquer les échecs de la défense aérienne russe ?
Au 46ème jour de guerre, des aéronefs ukrainiens sillonnent toujours le ciel. Un fait étonnant pour l’armée russe, réputée excellente dans le domaine et souvent présentée comme la seconde armée aérienne du monde.
-UN ETAT DES LIEUX LARGEMENT EN FAVEUR DES RUSSES
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-DES SYSTEMES ANTI-AERIENS RUSSES SURESTIMES ?
Parmi les bijoux de technologies dont la Russie se vante, on trouve le système anti-aérien sol-air, S-400 Triumph. Considéré par beaucoup comme le système anti-aérien le plus avancé au monde, il est capable d’engager ses cibles à une portée de 400km et ne souffrirait d'aucun point faible par la multiplication des capteurs et vecteurs. Pourtant, le système a été bien incapable d'arrêter les deux missiles tirés par l'Ukraine sur des aérodromes situés en Russie à Melirovo et Taganrog, y détruisant respectivement au sol deux Su-30 et un Il-76. Il en va de même à Berdyansk, port capturé sur la Mer d'Azov ou un navire de débarquement russe a été détruit par un missile balistique. Dans les trois cas, il s'agissait de missiles Tochka-U, simples missiles balistiques des années 70 d'une portée maximale de 120 km... D'autres missiles ukrainiens ont bien été interceptés, tout comme l'Ukraine intercepte certains Tochka-U avec ses S-300 bien plus anciens, mais ces "trous dans la raquette" sont-ils acceptables ? Ils sont en tous cas inattendus.
L'Ukraine s'est même permis de réaliser des raids d'hélicoptères Mi-24 à Belgorod, ce qui nécessite de survoler une zone du territoire ukrainien occupée, passer la frontière russe, parcourir au moins 40 km dans l'espace aérien russe avant de bombarder un dépôt de carburant puis de faire demi-tour. Un plan qui s’est déroulé sans accrocs et qui laisse perplexe face à l’efficacité des systèmes de défense aérienne russe. L'Ukraine a encore partagé cette semaine des images de ses Mi-8 en action et la perte d'un Mig-29 a été annoncée (prouvant qu'ils continuaient à opérer), alors que la Russie a annoncé disposer de la suprématie aérienne sur l'Ukraine le 28 février. Elle affirme d'ailleurs avoir détruit plus d'hélicoptères et chasseurs ukrainiens que le pays n'en possédait avant la guerre...
-LES DRONES TB2, EPINE DANS LE PIED RUSSE :
La Russie dispose du système de guerre électronique Krasukha-4, officiellement capable de brouiller toutes communications sur 300km et réputé comme l'un des systèmes de guerre électronique les plus agressifs de la planète. Il avait notamment été déployé en Arménie pour faire face aux drones Bayraktar TB2 turcs et interdire à leurs pilotes de les exploiter, sans succès. Le même constat est observé en Ukraine, et la capture d'au moins un Krasukha 4 risque de considérablement réduire l'efficacité système lorsqu'il aura été disséqué par les services de renseignement des pays alliés de l'Ukraine...
Outre ces moyens de brouillage, la Russie avait également mis en avant les munitions rôdeuses KUB et Lancet-3 dites efficace face au drones TB2. La société Zala présente même la destruction du drone turc dans sa vidéo de démonstration... Au sol, la Russie expliquait que c'est l’obsolescence des systèmes de défense aérienne Pantsir par Arménie et en Libye qui expliquaient leur faible capacité à faire face au TB2, tandis que leurs propres Pantsir modernisés sauraient faire face. Il n'en est rien, et si des Bayraktar ont bien été abattus, la Turquie en a livré encore 11 à l'Ukraine sur le seul mois de mars... L’Ukraine pourrait continuer à faire souffrir l’ours russe avec ses drones (...).
-DES SYSTEMES ANTI-AERIENS UKRAINIENS EFFICACES :
Une autre raison qui explique les difficultés de la défense aérienne russe, est la sous-estimation de l’équipement ukrainien. De fait, l’armée ukrainienne disposait d’un arsenal de système de défense aérienne conséquent, dont le S-300 d’une portée allant jusqu’à 120km, le DK12 Kub d’une portée de 24km, le Buk-M1 d’une portée de 45km, ainsi que de nombreux autres systèmes anti-aériens de théâtre. La Russie n'a pas engagé assez de forces à l’encontre de ces systèmes, annonçant le succès de ses missions SEAD très tôt avant de subir de nouvelles pertes puis de publier à nouveau des vidéos de chasseurs équipés de missiles anti-radar. L’armée ukrainienne bénéficie d’un soutien accru de la part des pays occidentaux, qui ne cessent de faire livrer des armes. La livraison de milliers de missiles sol-air légers a commencé avant la guerre et continue, avec la fourniture de moyens toujours plus sophistiqués comme le système portatif Starstreak produit par Thales UK, avec la perte documentée d'au moins un hélicoptère russe Mi-28.
On compte au 20 mars, plus de 70 aéronefs russes abattus rien qu'au travers des images partagées sur les médias sociaux, dont 9 Su-25, 4 Su-30SM, 5 Su-34 et 1 Su-35... D'autres appareils ont été abattus et des vidéos sont disponibles lors de leur chute, mais sans identification formelle ils ne sont pas comptabilisés. La perte d'avions réputés "de génération 4.5+" s'explique par leur obligation à voler en basse altitude pour tenter d'y tirer des munitions non guidées, un largage en haute altitude n'ayant aucune chance de toucher sa cible. Une descente dangereuse puisqu'elle place les appareils à portée de manpads, une pratique qui a totalement disparu dans les pays occidentaux. Même si cela semble représenter une goutte d’eau parmi la mer d’aéronefs russes disponible annoncés, les Ukrainiens ont prouvé qu’ils pouvaient se défendre face à ladite puissante armée de l’air russe, réduisant sa capacité à agir sur le territoire.
-L’APPUI AU RENSEIGNEMENT PAR LES PAYS OCCIDENTAUX :
L’armée ukrainienne ne serait sûrement pas aussi efficace sans l’aide des services de renseignement des pays alliés, au premier rang desquels les Etats-Unis. De nombreux pays ont déployé des moyens ISR (intelligence, surveillance et reconnaissance) avec des survols des pays voisins de l’Ukraine, l'objectif inavoué étant de fournir du renseignement aux Ukrainiens. L’OTAN exploite notamment des avions de type AWACS (système de détection et de commandement aéroporté) comme le Boeing E-3 Sentry et le E-8 JSTARS, ainsi que des drones RQ-4 Global Hawk pouvant voler jusqu’à 32h. S'y ajoutent des ravitailleurs KC6135 Stratotanker. Tout en veillant à ne pas franchir la frontière ukrainienne, ils scrutent l’intérieur du pays et obtiennent des informations tactiques qu’ils partagent avec l’Ukraine, notamment le décollage des avions de combat russe, les horaires de fonctionnement des radars russes, la définition des cônes sous lesquels les appareils ukrainiens peuvent voler sans être détectés...
De même, la présence en vol ou non des AWACS russes, les Iliouchine A-50, est un facteur déterminant pour pouvoir conduire des raids. En matière de renseignement aérien, la Russie est clairement à la traîne, elle ne dispose que d’un petit volume d’avions Iliouchine et Beriev A-50 développé à l'époque soviétique, une quinzaine d'exemplaires de chaque modèle. A titre de comparaison, les USA alignent plus d'une centaine d'avions-radar lourds et 170 appareils dédiés dans l'aviation embarquée (principalement des E-2C Hawkeye). Les appareils russes ne tournent apparemment que quelques heures et n'assurent pas une permanence en vol, laissant des créneaux disponibles aux Ukrainiens pour faire décoller les quelques moyens aériens restants.
BILAN :
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La guerre n’est toutefois pas finie et Moscou a récemment déployé davantage de drones, comme le Forpost-R et le Orlan-10, afin de s’adapter à son ennemi et mettre sur le terrain des équipements moins puissants, mais pour lesquels les pertes sont acceptables (...). Reste à voir si (la partie russe) fera preuve de plus d’efficacité (...).