Dans les années 80, les savant soviétiques ont découvert que, sur des fréquences basses, entre 30 et 300 MHz, les F-117 redevenaient visibles pour leurs vieux radars P-18 et P-15 : ils ont constaté que lorsque la longueur d'onde utilisée est un multiple de l'envergure de l'aéronef, l'énergie transmise par le radar d'émission va créer un courant induit qui va ensuite rayonner dans toutes les directions, sans pouvoir être contrôlé. Les subtilités des dispositifs de furtivité (matériaux absorbant les ondes radar, formes angulaires pour les réfléchir, dispositifs de guerre électronique pour créer des fantômes de l'appareil) étaient ainsi trahis. Cette bande de 30 à 300 MHz fait actuellement l’objet d’importantes recherches des instituts russes, chinois, et iraniens.
1/Les radars Large Phase Area Radar (LPAR) :
Ce sont des solutions antibalistiques bien connues qui disposent de la capacité de surveiller des objets en évolution dans l’espace avant leur entrée dans l’atmosphère (Pékin dispose des installations de Huanan, Yinuan, ou encore Hangzhou).
Depuis 2013, Moscou a décidé de moderniser au pas de charge son dispositif d’alerte avancée, entraînant par là même l’implication de Pékin et de Téhéran.
Les forces russes sont en train de remplacer tous leurs anciens radars par la nouvelle génération Voronej, qui comptera plus de dix exemplaires. Polyvalent, sa portée de 4 000 à 8 000 km est censée permettre à Moscou de détecter jusqu’au-dessus de l’Alaska toutes les menaces balistiques, satellitaires ou encore celles constituées par les missiles de croisière. Mais l’on trouve également toute une série de radars VHF mobiles développés en Russie par le groupe NNIIRT, comme le modèle 3D Nevo-UE ou Nevo SVU, qui renforcent les capacités de contre-furtivité du S-400, mais sur des distances plus réduites (jusqu’à 400 km).
Les Chinois ont également réalisé des versions locales de radars antifurtifs 2D, JY-26, ou 3D comme le JY-27A déployé près de Chengdu.
Après avoir acquis le radar russe Kasta 2E2, l'Iran a développé le radar 3D mobile Matla Ul Fajr depuis 2010.
2/Les Radars Over the Horizon (OTH) :
entre 3 et 30 MHz, ces ondes radars se propagent non pas en ligne droite, mais se réfléchissent sur l’ionosphère sans la traverser. Ainsi, contrairement aux ondes des radars classiques qui se propagent en ligne droite, ceux-ci disposent non seulement d’une portée sans comparaison, mais surtout ils illuminent leurs cibles en utilisant le ciel comme un écran réfléchissant, pour tenir en échec les surfaces angulaires destinées à disperser les ondes radars émises frontalement. Toutefois, pour être en mesure de détecter un aéronef à grande distance, ces radars demandent des moyens lourds (puissance d’émission, taille des antennes de plusieurs centaines de mètres pour l’émission et plus de 2 km de long pour la réception et nécessitant qu'elles soient séparées de plusieurs dizaines de kilomètres pour éviter les problèmes d’interférences). C'est une technologie ancienne (Britanniques et Allemands durant la 2ème GM), mais les nouvelles puissances de calcul et de modélisation ont totalement bouleversé son usage.
Le journal interne de l’association des anciens du radar australien OTH-B de Jindalee (il a fait l’objet l’année dernière d’une modernisation, principalement par les groupes BAE Systems pour le C2 et Rhodes & Schwarz pour les récepteurs) affirme désormais que ce dernier serait en mesure depuis le fin fond du désert australien d’identifier le modèle d’un avion au décollage depuis l’aéroport de Singapour, situé pourtant à plusieurs milliers de kilomètres de là.
La France dispose aussi, depuis 1998, sur la base 105 de Dreux, du radar Nostradamus de l’Onera, capable de détecter des cibles aériennes jusqu’à une distance de 3 000 km. Un radar qui, s’il était déployé sur les territoires de la ZEE française, ferait de Paris une bien redoutable vigie. De nouvelles configurations bistatiques récemment sous tests à l’Onera en auraient élargi de manière significative les performances.
La Chine a également investi dans ces radars OTHB. Un premier situé en Mongolie-Intérieure est destiné à surveiller le second rideau d’îles au-delà de la mer du Japon, et de l’île de Sakhaline. Un autre sur la côte méridionale sert, lui, à monitorer toujours ce même second rideau d’îles, mais cette fois jusqu’aux abords de la Nouvelle-Guinée, en passant par la mer de Chine de l’Est et Taïwan.
Mais ce sont les Russes qui se sont le plus lourdement investis. Le Kremlin a confié en 2013 à la société conceptrice des radars Voronej citée précédemment, NPK NIIDAR, la réalisation d’un nouveau type de radar OTH baptisé 29B6 Kontayner. Le premier exemplaire a été déployé dans la zone militaire ouest. Il s’agit là de la seconde couche d’alerte avancée après les Voronej, mais exclusivement destinée à un usage atmosphérique. Réalisé en deux tranches de 2013 à 2017, il serait susceptible de suivre plus de 5 000 cibles à 3 000 km simultanément, selon une couverture de 240 degrés et qui, pourrait évoluer à terme.
3/Les radars à ondes de surface :
Les ondes courtes permettent également d’obtenir des résultats analogues dans le domaine de la surveillance maritime, de moindre portée, mais suffisantes pour surveiller les ZEE portées récemment à 200 milles nautiques. C’est l’objet des radars baptisés à ondes de surface, dont les ondes courtes permettent de détecter dans des environnements difficiles des cibles de faible puissance, là où les méthodes traditionnelles sont mises en défaut en raison, entre autres, de la quantité d’échos créés par la surface de l’eau en mouvement.
Si les français Onera et Diginext ont répondu à ce challenge, en 2006, NIIDAR a lancé le premier exemplaire du radar Sun Flower « Podsolnukh E ». Il s’agissait à l’origine de l’articuler au système d’armes de protection côtière Calibre-NK. Mais ce système a également évolué vers des fonctions de surveillance aérienne : acquisition, poursuite, classification. Analyse ECM, météo, et conditions maritimes, ce système polyvalent est composé de deux antennes transportables dans deux conteneurs. Sa portée pour l’exportation serait limitéeà 300 km, alors que le modèle russe porte lui à 450 km. Les cibles aériennes évoluant entre 3 à 200 m seraient détectées à 150 km, entre 200 à 5 000 m, à 200 km et, au-delà de 7 000 m, à 300 km (100 cibles simultanées seraient traitées, y compris furtives…). Cinq de ces radars seraient déployés actuellement sur le territoire russe : en mer d’Okhotsk, en mer du Japon, en mer Caspienne, en mer Baltique et dans l’océan Arctique.
Dès les premiers tests en 2007, les Chinois se seraient montrés très enthousiastes et en auraient acquis au moins quatre pour les déployer face à Taïwan.
Mais un autre atout relevant également des ondes courtes pourrait constituer un avantage considérable. Une nouvelle génération encore plus performante et compacte, basée notamment sur des antennes à métamatériaux et des technologies numériques, serait en cours d’étude à l’Onera.
4/ Les radars Circulary Disposed Antenna Array (CDAA)
C'est une technologie de radiogoniométrie dont la société allemande Telefunken est à l'origine, lors de la 2ème GM. L’équipe Telefunken fût quasi intégralement récupérée par les soviétiques qui construisirent un réseau de plus de 30 de ces récepteurs, connus sous la codification Otan KRUG. S’il est difficile d’établir ceux qui en Russie disposent encore d’une activité opérationnelle, le Japon, l’Allemagne et le Canada ont également maintenu une telle capacité. Comme du reste les Etats-Unis, qui ont récemment développé l’AX-16 Pusher.
En raison des progrès spectaculaires de ces dernières années sur le traitement de signal par Intelligence Artificielle, et la puissance de calcul, on remarque un retour en force de ces constructions. En Russie, plusieurs nouveaux sites « KRUG 2 » ont fait leur apparition à Tiksi sur la côte arctique orientale, et surtout en Crimée fin 2017 avec un complexe de 190m de diamètre muni de 16 antennes. Un complexe voisin d’un radar à onde de surface, d’un système S-400, et d’une installation de brouillage Murmansk-BN… les progrès réalisés par les russes en termes de sélectivité leur permettraient ici de trianguler toute émission adverse (radar, radio, liaisons de données..) des côtes norvégiennes, au golfe Persique, jusqu’à la Méditerranée occidentale. Idem pour la surveillance de la côte arctique occidentale grâce au nouveau site placé à proximité de St Pétersbourg. Mais ce site, comme celui de Tiksi, est plus imposant avec près de 40 antennes.
Les Chinois ont également investi dans ces antennes de localisation portant à plusieurs milliers de kilomètres tout le long de leur frontière méridionale. D’autant que certains îlots artificiels pourraient accueillir de tels dispositifs pour repousser davantage encore les bulles d’interdictions.
Mais ce sont les iraniens qui se sont avérés les plus innovants. Un reportage de l’agence FARS a en effet révélé en septembre 2018, la mise en opération d’un CDAA. Sur le site de Nazir-en-Tabas, les Pasdarans ont en effet installé un complexe baptisé Sepher « Cosmos », comptant prés de 14 mâts de 70m de haut. Grâce à ses antennes log périodique et à polarité verticale, ce dispositif est particuliérement adapté à la détection des cibles balistiques et spatiales. Il s’agirait donc probablement ici de l’une des briques des nouvelles forces spatiales iraniennes.
5/Les radars « RESONANCE » :
Les radars à ondes courtes souffrent d’une vulnérabilité majeure. En dessous de 100 km de portée, soit la distance nécessaire moyenne pour la première réflexion sur l’ionosphère, ces radars sont totalement myopes. Aussi, pour imaginer un radar hybride et plus polyvalent tant en distance qu’en précisionpour cibler les B2, B21, F-35, F-22, les missiles de croisières actuels comme hypersoniques, ainsi que les minidrones suicides destinés à neutraliser les C2 ou les capteurs des bulles d’interdiction, les chercheurs russes sont allés puiser dans un ancien brevet de Dassault Electronique de 1994, dédié à la surveillance des aéroports civils, qui les a mis sur une piste prometteuse.
Depuis 2013, les Russes ont publié une série de travaux portant sur un radar de surveillance 3D cognitif (donc à évasion de fréquences et aux formes d’ondes facilement reprogrammables), en bande basse, et sur 360 degrés, qui emploie l’effet de résonance des ondes radars lorsqu'elles se réfléchissent sur des surfaces métalliques. Baptisé Resonance ce radar est dédié à la surveillance et au ciblage des menaces furtives actuelles et hypersoniques futures (de 0,5 m/s jusqu’à Mach 20 !), dans un environnement électromagnétique contraint. Il permet d’étendre ainsi le rayon des bulles d’interdiction des systèmes S300/400/500. Doté de quatre panneaux de 100 m de long chacun, d’antennes AESA actives sur une bande de fréquences complémentaire aux radars HF et VHF des S300/S400, mais aussi d'un DSP. L'absence de parties mobiles lui permettrait d'opérer dans les lieux les plus reculés. Ses concepteurs affirment que le réseau d’antennes orienté sur quatre faces permet de balayer en quasi-temps réel un champ de 360 degrés, avec un pinceau de détection allant de 1,5 degré à + 80 degrés au-dessus de l’horizon ; là où normalement la plupart des radars sont les plus vulnérables aux menaces.
Mais le point absolument novateur porterait, selon le groupe RTI qui le conçoit, sur la contre-furtivité. L’utilisation d’antennes à polarisation circulaire permettrait de détecter les objets quelle que soit leur orientation dans l’espace (axes X, Y, et Z). De 1 100 km pour les objets balistiques à 600 km pour les aéronefs (missiles de croisière, drones) en version export, et 350 km pour les avions furtifs… et ce sur 200 pistes simultanées. Plusieurs tests sur le minidrone en composite Orlan 3 auraient été menés avec succès.
Il faut de base que la ligne conductrice et résonnante de la cible soit dans le plan du champ électromagnétique pour obtenir un écho. La largeur de sa bande fréquentielle (35-70 MHz) a été définie pour détecter des objets de petite taille de l’ordre de la dizaine de centimètres à plusieurs mètres. Trois opérateurs suffisent à le mettre en œuvre, et ce radar ne nécessite que 80 heures de maintenance par an (MTBF : 1 500 h). En outre, malgré ses dimensions, l’ensemble de sa structure est transportable, et son coût d’achat ne serait que de 15 M$. Son autre originalité repose sur l’intégration d’autres sources d’informations – radar secondaire (Lira-VME), systèmes anticollision ADS-B (MNSVO-2010 RE), capteurs optiques HD (Obzor-IE…). Ceci pour renforcer sa résilience face au brouillage et améliorer les performances de ciblage à basse altitude. Il serait doté d’une capacité de lutte contre les missiles antiradars, de calcul du point d'impact, et d'un fonctionnement en double fréquence pour échapper aux systèmes de brouillage adverses.
En quelques années, ce nouveau concept de radar a connu un succès commercial inattendu, sans doute en raison de sa polyvalence et de son coût. Depuis 2015, Moscou aurait déployé au moins cinq radars de ce type (version N améliorée, réservée à la Russie) qui seraient opérationnels sur le territoire russe. Tous sont situés sur des bases de défense antiaériennes à proximité des systèmes S-400 pour les rendre plus résilients. Deux autres devraient entrer en service opérationnel en 2020 .
Mais ce succès est également exporté. L’Iran a procédé à l’acquisition de quatre exemplaires pour couvrir tout son premier cercle.
Idem pour l’Egypte, qui dispose de deux Resonance NE.
l’Algérie elle-même dispose d’un exemplaire qui rayonnerait du détroit de Gibraltar jusqu’à la Tunisie, en passant par le sud de la France.
Une liste de clients qui serait susceptible de s’allonger grâce à Pékin.
Au-delà de la détection à distance de sécurité, et du tracking, des futures menaces liées aux missiles hypersoniques, aux drones et aux bombardiers furtifs, il est légitime, grâce à la cartographie des localisations des nouveaux Resonance, mais aussi des autres radars HF de conception russe, d’avancer l’hypothèse que Moscou cherche à repousser encore davantage les performances et le rayon de ses bulles d’interdiction. Par cette rupture, Moscou, en mettant en réseau ses clients étrangers, pourrait à court terme couvrir une grande partie des détroits stratégiques. Et ce non seulement pour compliquer l’entrée en premier sur les théâtres des forces de l’Otan, mais également pour disposer d’un levier de négociation politique sur les voies de libre circulation des marchandises, ou être associé aux programmes de protection des ZEE, ou encore de lutte contre le terrorisme. En amateur d’échecs, Vladimir Poutine démontre une fois de plus que lorsqu’il bouge un pion, il se place en position de contrôler plusieurs cases simultanément.
-pour Resonance, il n'y a rien sur la France, alors que cette technologie commence par un brevet Dassault Electronique de 1994...
-je pense que pour le SCAF, s'il se fait un jour, les concepteurs ont eu bien raison de le prévoir modulable et de ne pas miser sur le "tout furtif" le concernant…
-j'aimerais être dans la tête des acheteurs exports du F-35 quand ils lisent ce genre d'article (même si j'ai pleinement conscience que les Russes conçoivent et achètent du Su-57 et les Chinois du J-20 [et les Iraniens des maquettes du Qaher 313