De la lecture pour le confinement Chap II (et II bis)
De la lecture pour le confinement Chap II (et II bis)
#1Put… d’ascenseur
En fait c'est le récit d'une mission toute simple, complètement basique.
La veille une mission se déclenche sur une base en France, pour porter une pièce à un avion en panne. Il faut un pilote. Tout le monde n'est pas enchanté par ce genre de mission, parce que certains trouvent cela plat et sans relief, avec peu d'aventures ou de plaisir. Et pourtant ...
Donc je dépose mon plan de vol. Le lendemain matin, arrivée à l'escadron, tranquille. Un petit café, un bon croissant et j'attends l'heure de mon décollage. Une fois l'heure arrivée, je vérifie en piste que la pièce est bien à bord, que j'ai bien tout les papiers qu'il faut. Comme j'ai un biplace, je vérifie aussi, avant de faire le tour avion que la place arrière est bien brêlée, et que les dernières sécurités ou caches sont bien en place, là ou il faut. Tour avion, brelage, démarrage, roulage, tout ça se passe bien, dans le matin clair où je suis le seul à rouler à cette heure matinale de la journée.
Arrivé à l’alignement, je reçois de la tour ma clearance directe vers mon niveau de croisière.
Que du bon. Il fait beau, le ciel est bleu, l'air est calme.
Sur la piste, soigneusement aligné au milieu, je pousse le moteur sur plein gaz et PC(*) Mini. Le moteur réagit comme il doit, les aiguilles tournent, les lampes s'allument dans le bon ordre, au bon moment.
"Clair Take Off"
(*) PC : Postcombustion. Injection de carburant dans un canal prolongeant la tuyère du réacteur pour augmenter la poussée.
Top chrono et je lâche les freins.
L'avion s'ébroue, accélère franchement. Pleine Charge, coup dans les reins, le badin monte. 11 sec 100 Kts tout baigne.
Je décolle, rentre le train puis les volets. 15 ° boule je laisse l'avion accélérer, pleine charge PC. L'approche me donne mon cap je vire et commence à monter.
Le F1 en lisse est un dragster, déjà 450 Kts 25 degrés boule, et l'alti joue les ventilateurs. Les altitudes s'égrènent en niveaux que je libère, le Mach monte. 0.9 et il faut reprendre la cadence sur la profondeur pour ne pas passer supersonique. Niveau 200, tout baigne, la pressu cabine est bonne, Niveau 300, avec les contrôleurs du centre de contrôle qui m'ont pris en compte. Changement de fréquence, d'IFF, l'avion monte toujours. Niveau 350, la pente se casse un peu, je rends la main pour reprendre de la vitesse. Niveau 400, j'arrondis souplement, et stabilise à mon niveau de croisière, FL 405 à 0.9 de mach. Un nouveau cap, je vire en stoppant le chrono, et regarde sous moi la base d'ou je viens de décoller.
Je suis à 13500 m d'altitude. Depuis combien de temps j'ai décollé ? Un coup d’œil au chrono, pour voir que je suis arrivé a mon niveau en un peu plus de 4 minutes. Putain d'ascenseur ... Dire que certains n'aiment pas ça ....
Le PA est enclenché, le cap vérifié, et je suis maintenant assis dans le ciel, à admirer la terre. Au dessus de moi le ciel est bleu foncé, presque blanc sur l'horizon, des petits cumulus de beau temps commencent à se former, boules de coton posées sur la mosaïque des champs. Un peu plus tard je verrai la chaîne des Pyrénées, dans sa totalité, alors que je n'en suis encore qu'a 350 km. La visi est bonne, j'annonce le visuel à un contrôleur sur un civil qui passe à 55 nautiques de moi. Je triche un peu c'est sa traînée que je vois. Le point blanc de l'avion je ne le verrais qu’à 45 nautiques.
Il faut bien se faire plaisir un peu non ?
Convoyage
3h du mat.
Encore une fois les missions intéressantes commencent à des horaires pas vrais. Tant bien que mal j’émerge de ma nuit trop courte. Mal dormi, malgré la clim. Il fait 28 degrés. Je prends une douche pour essayer de me réveiller complètement. Mes idées s’éclaircissent sous l’eau fraîche qui coule. Puis je m’habille, je boucle mon sac et je sors de la chambre. J’ai aussitôt l’impression d’être entré dans un sèche cheveux. Le vent qui souffle m’assèche instantanément, il fait 33 degrés. Ca va être coton pour le décollage. Petit dej' rapidement avalé, je hais la mal bouffe ricaine, et le café, comme d’habitude, est plus dégueulasse que de l’eau de vaisselle. Les autres sont un peu comme moi, perdus dans la fin de leur nuit, plissant les yeux sous les néons du mess, peut-être concentrés sur la mission future. On monte tous dans le bus et on part vers les avions. Arrivé à l’escadron, direction le vestiaire pour se changer. Il y a beaucoup de trajet à faire au dessus de l’eau et c’est donc combinaison étanche pour tout le monde. Vu la chaleur, je décide de ne pas mettre le babygros, sous-vêtement chaud qui doit nous aider à lutter contre l’hypothermie, en cas de pas de chance. De toute façon l’eau est à 17 degrés, il fait beau et je n'ai pas du tout l’intention de tenter de vérifier le bon fonctionnement du MK 10. Puis après tout ça n’est que mon problème, na ! Il n'empêche qu’en sortant du vestiaire, alors que la température a dû grimper encore, j’ai l’impression de passer au four. Vivement le niveau 300 et la fraîcheur. On finit de s’équiper et on passe au briefing.
Aujourd'hui c’est un peu particulier pour moi, et ce, pour deux raisons. C’est ma 3000ème heure de vol et je vais la passer au cours de ce qui risque être le vol le plus long de ma carrière militaire. Je suis leader des chasseurs pour ce convoyage et je suis entouré de deux bons copains. Je leur explique les particularités de ce vol et surtout les deux ou trois formations que je voudrais faire en vol. Elles seront filmées par le boomer, histoire que j’aie un souvenir. Tout se passe parfaitement bien et ils sont heureux de savoir qu’ils auront quelques petites choses à faire pendant le vol, histoire de rompre la monotonie du convoyage. On check une dernière fois la doc, un 'tit coup de fil aux Boeing pour être sur que tout est comme prévu et on part aux avions. Une nouvelle fois, peut-être encore plus qu’avant, je prends la chaleur en pleine figure, anti-G et MaeWest en plus sur le dos, que du plaisir. Pourtant il n’est que 4h30 du mat.
Arrivé à l’avion, nous avons le plaisir de recevoir nos repas pour le vol. C’est assez irréaliste comme menu. Je vous laisse juge. Aujourd'hui nous avons, pour manger dans un avion de chasse à 30 000 pieds au dessus du désert : De la viande, façon Kebab, en petits morceaux régulièrement coupés, dans son sachet en plastique. Pour accompagner ça, de la salade et des tomates, heureusement entières et du pain. Il y a aussi une pomme, deux pack de jus de fruit (format ration individuelle quand même) une bouteille d’eau de 1.5L et summum du summum, dans un autre petit sachet en plastique, au moins 100 g de fraises fraîches !!! L’américain qui me donne ça avec un grand sourire ne doit pas savoir ce que c’est qu’un avion de chasse, à plus forte raison, un avion de chasse français. Comment je vais faire pour manger tout ça dans l’avion ?
Pas trop le temps de réfléchir de toute façon, il faut s’installer et ne pas être en retard pour le check radio avec le Boeing. Je verrai plus tard pour ranger ce bordel. Une fois installé, le mécano check avec moi que tout est bon puis il descend et enlève l’échelle. Je branche la radio et fais le premier check avec mes équipiers. Ils sont là, prêts. Il ne reste plus qu’à attendre que le Boeing fasse le check et on pourra mettre en route. Le temps passe doucement et il fait de plus en plus chaud. Je ne sais pas si c’est parce que la température augmente vraiment ou si c’est parce que je ne sais pas quoi faire, mais j’ai vraiment chaud.
La radio grésille enfin et le commandant de bord du Boeing check ses petits. Comme nous sommes tous là, il demande la mise en route pour tout le monde. Pas de problèmes, tout se déroule comme prévu, sauf qu’il fait toujours aussi chaud. Enfin le dispositif reçoit le message libérateur et nous sommes autorisés à rouler vers le point de manœuvre. Comme prévu par la procédure, c'est à moi qu’échoit l'honneur de rouler devant le Boeing. Honneur dont je me passerais bien. La base est grande comme la moitié de la Corse et pleine de taxiways dans tous les sens. (J’exagère à peine, le périmètre de la base fait dans les 300 km si je me souviens bien) Tant pis pour l’honneur mais je préfère faire quelque chose de propre et je demande au Boeing de me guider. Ils sont 3 dans le cockpit avec le temps de regarder la carte en détail. C'est finalement assez simple et je me trouve assez vite en vue du point de manœuvre. Je fais changer de fréquence et je contacte la tour pour demander l'autorisation d'alignement. Dès que je reçois celle ci, je roule doucement vers l'entrée de la piste. J’en profite pour me rincer les yeux en passant devant le hangar du U-2(*) qui est dehors aujourd'hui. Quel oiseau bizarre, plein de bosses, aux plumes démesurées. Tout en noir il est impressionnant. Pourtant il me parait tout petit parce que beaucoup plus court sur patte que mon oiseau. Pas le temps d une petite photo, non pas que l’envie me manque, mais on nous a bien expliqué qu’il valait mieux ne pas en faire si on ne voulait pas avoir trop de soucis pour les clearances de départ. Une sécurité tatillonne parait il ...
(*) Lockheed U-2 : Avion de reconnaissance stratégique américain, aux secrets toujours jalousement protégés par l’US Air Force !
Dommage quand même, pour une fois que j'en vois un. Pas trop le temps de m'apitoyer sur mon sort de toute façon puisque il faut que je m’aligne avec mes équipiers puis que nous commencions la mission. Il est 4h 45 ou 5h du matin, je ne me souviens plus très bien. Je demande l'autorisation de décoller. La tour me passe les derniers éléments météo et m'autorise le décollage. 37° le décollage va être en douceur... Heureusement qu’il y a 4500 m de bande devant mon nez. Je fais le signe ad hoc pour signifier aux équipiers de mettre plein gaz. D’un coup de tête ils me répondent. Je check mes paramètres, la température tuyère est bonne, la pc s'allume, le nez de l'avion s'affaisse sous la poussé du réacteur, lampe verte, pouces levés, coup de tête, je lâche les freins. L'avion commence à avancer, pas trop vite, je passe pleine charge, un coup dans les reins, signe que tout va bien et la vitesse augmente. 50 Kts, le badin décolle, 80 Kts, je vérifie en tête haute que l'accélération est bonne. Il n’y a plus qu’à attendre la vitesse de rotation. 150 Kts et je sollicite doucement le manche vers l’arrière. Rien ne se passe. Il faut que j'augmente la pression sur le manche pour que le nez daigne frémir un peu.
Encore un peu de pression et ça y est, la vitesse aidant, le nez se lève franchement. Je garde la pression et j'attends que la vitesse augmente. Déjà presque 1500 m d'avalés, 170 Kts à la pendule et l'avion s'arrache du bitume pour retrouver son élément favori.
Ne pas chercher à monter trop, d'abord rentrer le train et continuer d'accélérer. 200 Kts je rentre un cran de volet, l'avion s'enfonce très nettement. Fait vraiment très chaud. 250 Kts et je rentre tout les volets en ayant une nouvelle fois l'impression très nette que l'avion s'enfonce une nouvelle fois. Le risque, dans ces cas là, c'est de vouloir contrer trop brusquement cette impression et de se retrouver en second régime à 100 m du sol. Mais il y a quand même encore de la marge et je laisse l'avion accélérer. Derrière moi les équipiers s'annoncent "airborne", voila un souci en moins. Je vire pour revenir vers le terrain et rassembler ma troupe. Ils arrivent vers moi, je les surveille par dessus mon épaule, un peu comme une mère poule. Ok, ils sont en place. Maintenant il faut que je vérifie ma position par rapport au terrain. Je le vois au loin, les effets de la chaleur sur l'accélération de l'avion nous ont emmenés bien loin. Il va falloir que j'anticipe le top décollage pour le tanker. Voila on y arrive. Je lui donne le top travers –qui n'est pas travers– puis je revire une nouvelle fois vers le terrain. Nous sommes dans l'axe de la piste à 2000 pieds à 300 Kts. J'estime trente secondes restantes et je l'annonce au tanker. Celui ci lâche alors les freins. Je ne le vois pas qu’il commence à rouler. Il semble arrêté sur la piste. Pourtant petit à petit, je le vois enfin qui bouge, qui accélère, qui accélère encore, puis qui finit par décoller. Ouf ! Deuxième souci en moins.
Tout le monde est en l'air, on va pouvoir rentrer à la maison. Il ne reste plus que 5000 km à faire et deux ou trois choses annexes. Mais on aura bien le temps de voir. On prend donc notre place auprès du Boeing et on le laisse faire le travail. Au début c'est un peu astreignant car il faut rester collé à lui pour ne pas donner l'impression de s'éparpiller dans les airs. Ce qui a, en général, le don d'énerver assez vite les contrôleurs. A plus forte raison si ceux ci sont saoudiens et donc aussi souples et compréhensifs qu'un bloc de carbone ... De toute façon ça tombe bien parce qu'il n'y a rien à voir pour le moment. La chaleur aidant, il règne dans cette région une brume sèche qui empêche de profiter du spectacle. Comme en plus le spectacle, pour le moment, ce n'est que du sable...
Nous restons donc sagement près du Boeing et je profite du spectacle. Parce que c'est quand même sympa de regarder ça de près, surtout avec un avion dans chaque aile. Je repense encore une fois, une énième fois, que le F1 est vraiment un bel avion, un très bel avion. Nous finissons quand même par arriver à notre altitude de croisière et nous avons le droit de relâcher la formation. Le DV (Directeur des vols, chargé de toutes les décisions pour les chasseurs sur le long terme et qui se trouve dans le poste de pilotage du Boeing) en profite pour me contacter :
"Candide du DV ?"
"Vas y je t'écoute"
"Fuel ?"
"45"
"OK, comme prévu"
Je vais donc pouvoir essayer de ranger un peu mon bordel dans la cabine. Il y en a un peu partout et ce n'est pas très safe. D'abord, placer la doc de façon accessible, surtout "l'en route" où nous avons soigneusement marqué les pages avec les terrains de déroutements. Une fois que cela est fait et que les différents documents ont trouvé tant bien que mal une place dans la cabine, je m'occupe de mon sachet repas. Première chose la bouteille d'eau. C'est elle qui prend le plus de place et que je dois garder accessible. Puis ensuite il s'agit de faire le tri dans l'incroyable sachet que l'on m'a remis au départ. J'ai déjà éliminé la viande en la laissant discrètement au mécano avant de partir, mais il me reste encore les fraises... Vu leur état je décide d'avancer l'heure de mon repas et de le faire par étapes. Je dois bien dire que manger des fraises, sanglé dans un cockpit à 25 000 pieds est une expérience particulière. Non pas que cela soit particulièrement difficile, mais la situation est pour le moins incongrue. Il survient alors un problème auquel je n'avais pas pensé. Si manger des fraises est bien agréable, il faut quand même le faire avec les doigts. Et c'est une fois les fraises englouties que je m'aperçois que je n'ai pas de serviette. Détail certes, mais je me vois mal passer le restant du vol avec les doigts collants. Dans ces vols la, le moindre détail peut devenir très perturbant.
Je fouille donc partout dans l'avion pour essayer de trouver un morceau de papier qui pourrait jouer le rôle de serviette. Bien sur, à part une vielle carte que je devais garder à titre sentimental, allez donc savoir pourquoi, je ne trouve rien. Je me débrouille tant bien que mal avec et une fois que tout est fini je commence à jouir du spectacle du monde qui défile sous moi. Nous sommes dans la partie ouest de l'Arabie Saoudite et le désert se déroule sous nos ailes. Un désert noir, ocre et jaune, alternance de rochers, de coulées de lave et de sable. Il n y a peut être jamais eut de volcan ici, mais vu de ma place ça y ressemble bigrement en tout cas. Plus loin vers le sud, il y a la Mecque et son terrain, strictement interdit aux non musulmans. Si un problème devait arriver maintenant, on nous a conseillé gentiment mais très impérativement de nous éjecter plutôt que de tenter de le rejoindre. Il serait beaucoup plus facile de venir nous chercher dans le désert que dans les prisons saoudiennes...
Pas trop le temps de penser à ça de toute façon puisque l'heure du premier ravito arrive. Docilement les avions se rapprochent du tanker. Un à gauche, un à droite, le troisième un peu en retrait à droite, les tuyaux des pods se déroulent, je stabilise ma position et trime mon avion du mieux que je puisse. J'annonce pour tout le monde les actions vitales avant ravito et dès que je suis autorisé, je me mets en position pour ravitailler. Le ravitaillement sur pod est bien plus facile que sur le boom central. Il y a beaucoup moins de travail à faire aux gaz et la position est plus souple à tenir. Il n'empêche qu’il y a aussi des pièges à éviter, notamment celui de la vitesse d'entrée dans le panier. Trop lentement et le gland(*) ne s'enclenche pas, trop vite et le pod n'arrive pas à enrouler le tuyau assez vite. Il en résulte un coup de fouet qui a vite fait de sectionner le gland du ravitaillé.
(*) Gland : Dispositif situé à l’extrémité de la perche de ravitaillement du chasseur, assurant la connexion avec le panier du ravitailleur.
Mais je m'applique et tout se passe bien. Une fois enquillé, le deuxième avion est autorisé à en faire autant. De ma position je ne peux pas trop le surveiller. Dans ces cas la on juge de la situation aux messages radios échangés. On essaye de jauger la voix du pilote qui demande le contact, de deviner s’il est nerveux ou trop détendu, on essaye de parer à toute éventualité en se présentant mentalement tout les cas envisageables. Seul le silence est rassurant, comme aujourd'hui. D'ailleurs un convoyage c'est rarement bruyant. C'est plutôt, du moins les miens étaient comme cela, un long voyage solitaire, entrecoupé de quelques voix, passés à admirer le monde et sa beauté depuis une position privilégiée. C'est presque contemplatif. Une fois mon plein fini, je m'applique à sortir le plus proprement possible du panier. Le troisième avion attend sagement son tour à droite du tanker. Me voyant sortir, il commence à se rapprocher du Boeing et prend sa place dans le manège. Le deuxième sort, recule doucement, puis comme briefé, s'éloigne sur la droite pour laisser la place. Un coup d’œil au chrono, il est H moins 30 minutes. Devant nous, la mer rouge arrive, avec ses lagons bleu carte postale. Il fait beau. On va pouvoir faire des photos.
Je laisse le dernier avion finir son plein, puis une fois que qu’il a quitté le contact, je ne peux m’empêcher de parler a la radio :
"Messieurs .... TOP 3000 !!!"
Et de faire un tonneau pour fêter l’événement comme il se doit. Dans mon avion je suis content, et pourquoi ne pas l’avouer assez fier de passer ce cap. Ca n’est quand même pas si souvent que cela arrive et je me souviens de ce que je ressentais quand, élève, je croisais un vieux avec autant d’heures. Ca me semblait le bout du monde et le fruit d un travail inhumain. Et aujourd'hui, c’est moi qui y suis, sans avoir vu le temps passer, avec des moments roses et d’autres noirs. Mais ne boudons pas notre plaisir. Il y a encore un petit bout de désert à survoler avant d’arriver sur la côte. Ca nous laisse juste le temps de nous mettre en place pour faire de belles photos. Je demande donc à mes équipiers de venir en formation, une fois que le commandant de bord du Boeing m’y a autorisé. Les formations seront toutes simples, juste pour le plaisir de garder de belles photos et de belles vidéos de ce moment unique. La côte arrive sous nos ailes, avec ses reflets turquoise. Vue de ma place elle est vraiment magnifique. Les équipiers sont en place, la camera tourne, le photographe, photographie. Sous nous défile une île en forme de dauphin. Puis elle s’éloigne et disparaît. On resserre la formation et au top, les équipiers font un éclatement final en douceur. Finalement ça a été très court, mais le photographe est enthousiaste. J’aurai donc de beaux souvenirs. Il me demande d’ailleurs si je ne peux pas me rapprocher un peu pour faire des photos de mon avion d’un peu plus près que d’habitude. C’est avec plaisir que je m’exécute. Nous passons au dessus de Sharm el Sheikh. A l’époque je ne savais pas que j’y passerais tout mes WE pendant un an. Comme quoi la vie est pleine de surprises !
Il faut passer maintenant à la phase suivante. Je commence en effet à avoir faim et soif. Je l annonce donc a la radio et je m’écarte un peu de la formation. J’attrape une des barres énergétiques que j’ai gardées du menu. Elle n’a pas beaucoup de goût ou est trop sucrée, en fait je ne sais pas bien. Je ne fais pas attention, et je me dis que j’ai peut être laissé la viande du menu un peu vite. Tant pis pour moi, ça ne semblait quand même pas très pratique. Je me rabats sur la pomme qui, elle, est parfaitement à mon goût. Pendant ce temps la, l’alarme oxygène me gueule dans les oreilles que je ne respire pas assez. Je finis par couper l’interrupteur d’alarme et, dans un silence retrouvé, je finis ma pomme, en regardant au loin, le ruban vert de la vallée du Nil qui sort du désert. C’est étonnant de voir comment seul un ruban existe au milieu de tout ce sable. A l’aller, depuis le Boeing, j’avais vainement essayé de voir les temples et palais égyptiens. J’espère que j’aurai plus de chance ce coup ci, car je devrais avoir plus de visibilité depuis mon cockpit. Je me tords donc le cou dans tout les sens pour essayer de voir quelque chose. Mais, ignorant tout de l’emplacement de ces monuments, je ne parviens pas à en trouver un seul. Et de toute façon, les check pétrole que nous avons fait précédemment avec le DV font qu’il va falloir se remettre en place pour le deuxième ravito. Le ballet autour du tanker recommence, presque en silence radio. Pas grand chose à dire. Si ce n’est que le troisième ravitaillera au dessus du Caire ou sensiblement et ne pourra pas voir les pyramides. J’apprendrai plus tard qu’il les avait déjà vues à l’aller. Pour ma part je suis très déçu. On s’imagine les pyramides, magnifiques vestiges, survivant dans le désert et protégées du monde moderne... La réalité est tout autre. Elles sont mangées par la ville, presque englouties par l’urbanisation délirante du Caire. Vu d’ici on dirait plus un parc d’attraction que le témoignage d’une civilisation millénaire. Prendre de la hauteur, ça permet de prendre du recul. On juge parfois mieux alors la colossale stupidité de l’espèce humaine, capable en 100 ans d’en détruire 2000 et par la même de condamner son avenir. La Méditerranée arrive, le bleu, le calme. Je bois un coup. Pas trop quand même, je serais incapable de pisser dans leurs éponges ...
Il y a quand même un sacré morceau de Méditerranée à traverser, donc on s’ennuie un peu. Je compte les bateaux que je peux voir. Finalement, je m’aperçois que, s’il devait se passer quelque chose de grave, le bain serait relativement court. Enfin j’ose espérer que cela se passerait comme ça. Il y a bien le problème de la nuit, mais comme là il est déjà presque 10 h du matin... Le temps passe donc doucement, les seules annonces faites sont celles de la prise d’un repas, ou de la satisfaction d’un besoin personnel. Rien de bien passionnant en fait. Mais le temps passe vite, a surveiller quand même un peu l’avion, a suivre la nav et essayer de se repérer, mettre à jours les moyens de radio-navigation, discuter un peu avec le DV pour voir où nous en sommes par rapport au planning carburant prévu. Il faut savoir que ce convoyage a la particularité d être plus long dans un sens que dans l’autre, même si les routes employées sont les mêmes. Malheureusement, le vent, lui, est à dominance Ouest, ce qui fait, que trois fois sur quatre il faut, dans le sens Est Ouest, faire une escale. Or il semblerait, d’après les calculs que nous faisons le DV et moi même, contre vérifiés par le navigateur du Boeing, que nous sommes en retard sur la conso pétrole prévue. Nous l’avions un peu anticipé, en retenant l’option retour direct, mais tout le monde était bien conscient, à commencer par moi, que cela voudrait peut être dire qu’il faudrait se poser en route sur un terrain non prévu. Au mieux la Corse et Solenzara, au pire un terrain quelque part en Italie.
Un convoyage ça se joue en finesse. Il faut rester derrière le Boeing, ni trop près, ni trop loin. Trop près, on prend le risque de se faire surprendre par le tanker et de lui rentrer dedans, trop loin et les contrôleurs civils (on fait le convoyage en espace civil) gueulent parce qu’on prend trop de place dans leur espace. Comme il est quasi impossible de trouver le régime moteur exact qui nous fera tenir en place pendant tout le vol, toute l’astuce consiste à déceler suffisamment tôt un mouvement dans un sens ou dans un autre. Et de réajuster le plus doucement possible le régime pour consommer le moins possible. La plupart du temps les pilotes qui font leur premier convoyage sont tout le temps en place. Mais en jouant sans arrêt avec la manette des gaz. Sur 4000 nm au final ça fait pas mal de différence. Ou on tombe sur l’excès inverse. Le pilote joue très peu avec la manette des gaz et dans ce cas là, n’est jamais en place, voir parfois 5 ou 6 km derrière le tanker.
Aujourd'hui ça se passe pas mal et mes équipiers semblent avoir envie de rentrer le plus vite possible à la maison. Parce qu’un plan de vol pour un Boeing et 3 chasseurs, une fois que l’on s’est dérouté, ça ne se négocie pas en 1/4 d’heure par téléphone. Surtout quand l’interlocuteur a du mal avec l’anglais ou ne maîtrise pas suffisamment son job pour exécuter une demande qui est, il faut bien l’avouer un peu particulière. Donc après une bonne discussion avec le DV nous décidons d’un commun accord de retarder le prochain ravito. Ca permet de nous alléger encore un peu, donc de monter plus haut et de consommer moins. De plus pour le ravito suivant comme nous serons plus légers, nous pourrons ravitailler plus haut, donc encore une fois économiser encore un peu.
A chaque fois on ne joue pas sur de grosses quantité de fuel mais au bilan sur plus de six heures de vol, ça commence à faire pas mal de litres qui sont économisés. Les calculs restent cependant assez fins, dépendent beaucoup du vent, qui forcement n’est pas le même quand on monte, mais aussi de la fatigue de tout le monde, fatigue qui rend les gens moins attentifs, moins précis et pouvant aussi parfois les pousser à annoncer des pétroles supérieur à la réalité, juste pour pouvoir rentrer plus vite. Difficile a détecter, assez rare, mais très ennuyeux quand ça commence à merd.....
Comme je le disais, tous ces petits calculs prennent quand même pas mal de temps, et je ne vois pas défiler la mer en dessous de nos avions. Une fois que tous les calculs sont faits, le travail n’est pas fini pour autant. En effet, lorsque l’on choisit des options un peu tangentes, il reste un petit doute au fond de l’esprit qui fait que l’on attend la prochaine échéance avec une certaine appréhension. Dans notre cas, nous avons fait tout les calculs que nous pouvions, mais nous avons quand même fixé un point de non retour, point où il faut plus d’une certaine quantité de pétrole pour continuer suivant l’option retenue. La progression vers ce point n’est pas angoissante, elle est juste extrêmement surveillée. D’autant plus qu’un autre facteur commence à entrer en ligne de compte : Celui de la limite de temps de vol. Le F1 est limité en temps de vol, à cause de sa consommation d’huile. En temps de paix on ne peut déroger à cette limite. Or, nous arrivons à déjà plus de 4h30 de vol. Le navigateur du Boeing bosse pas mal pour essayer de nous donner une estime correcte de l’arrivée à Istres. Il doit envisager un certain nombre d’options, y compris celle du mistral dans la vallée du Rhône ! Avec le DV ils discutent pas mal, d’autant que le temps de vols max prévu flirte d’assez près avec la limite max autorisée. Dans ces cas là tout le monde est un peu nerveux. Pas parce que l’on craigne quoi que ce soit, mais plutôt parce que l’idée que l’on s’était faite durant tout le vol que le retour à la maison allait être rapide et sans souci est mise à mal par un stupide problème de consommation d’huile. D’autant plus stupide que cette limite est théorique et que la pratique prouve tous les jours que l’on peut aller au delà sans prendre aucun risque. Il faut donc bien faire attention à ne pas se laisser tenter par l’option la plus courte ou la plus facile, du genre on fait 10 minutes de plus que le temps max et on économise une étape et 2h de perdues. On fait alors tomber toutes les limites de sécurités et si il arrive un gag à ce moment la, il sera immédiatement grave. Plus d’huile et plus de carburant, au dessus de la mer, et vous pouvez commencer à réfléchir à ce que vous allez expliquer à la commission d’enquête.
Bref autant ne pas jouer, ça ne vaut pas du tout le coup. Surtout que nous ne sommes partis que deux jours et qu’une étape de plus ne nous retardera que de deux ou trois heures. Avec toutes ces réflexions arrive le moment du troisième ravito. Déjà presque 5 h de vol, il faut donc que tout le monde soit attentif. La fatigue est là, insidieuse, même si personne ne se sent fatigué. Un seul moyen pour parer à tout incident : Continuer à faire de la façon la plus rigoureuse possible, sans autoriser le moindre raccourci dans la procédure. Surtout faire comme d’habitude. Alors on se rend compte que la fatigue est bien là.
On a du mal à trouver le bon régime moteur en observation, le contact est moins propre que d’habitude, pourtant la vitesse semblait bonne... Pour tenir la position, il faut se battre un peu plus, oh pas beaucoup, plus parce que tout le monde vous observe, surtout quand vous êtes le leader, mais on s’aperçoit alors que des crampes se réveillent doucement. La fesse gauche aussi se réveille, protestant énergiquement contre l’inconfort de ces sièges éjectables. Tous les trucs des premiers ravitos doivent alors venir à votre aide pour ne pas se bloquer et rester décontracté le plus longtemps possible. Heureusement qu’avec les pods, la position en ravito est beaucoup plus facile à tenir. J’imagine que la même chose avec un boom central et donc des tenues de place beaucoup plus fatigantes, doit être épuisante au bout d’un si long temps de vol. Je finis mon ravito et je sors sur la gauche du tanker. Je peux voir alors les effets de la fatigue sur mes équipiers comme eux ont dû les voir sur moi. C est surtout flagrant en entré et en sortie de tuyau, où les pilotes qui ravitaillaient avec autorité et fermeté il y a 4 h, semblent être redevenus des débutants apeurés derrière leur premier tanker. Mais ça se passe plutôt bien, les positions hésitantes étant vite stabilisées. Nous finissons le plein quelque part en Italie et nous nous préparons doucement à la dernière partie du voyage. Le commandant de bord du Boeing, qui est aussi le chef du dispositif, me rappelle à l’ordre. Je suis un peu trop loin, et les civils commencent à grogner.
Il faut dire que nous arrivons dans des zones ou il y a pas mal de civils qui volent et nous les voyons qui croisent un peu partout au dessus de nous. Je resserre donc la formation, un peu vexé. La côte italienne nous distrait un peu. Il a l’air d’y avoir de charmantes places à explorer pendant des vacances et je me surprends à me dire que je commence à en avoir un peu marre d’être coincé dans le cockpit. Déjà 5h45 de vol et ma fesse gauche a de plus en plus tendance à protester. Je repousse les palonniers à fond et tente quelques mouvements pour me décontracter. Je retrouve un peu de sensations mais il est clair que le temps commence à être vraiment long. Tant bien que mal je m’étire autant que je peux puis décide d’aller voir dans le sachet repas s’il ne me resterait pas quelques friandises pour faire passer le temps. J’y trouve un Mars et une boite de jus de fruit. Comme de bien entendu le Mars a fondu dans son emballage et c’est toute une histoire pour arriver à le manger a peu près proprement, J’arrive quand même à ne pas m’en mettre plein les doigts et c’est presque avec fierté que je mets l’emballage dans la poche qui me sert de poubelle. Puis je prends le pack de jus de fruit, vous savez, ces petites briques individuelles, et plante fermement la paille dans l’orifice prévu à cet effet. Et la moitié du pack jaillit hors de la boite avant que j’aie le temps de réagir. Ces foutues boite sont fermées hermétiquement et avec la baisse de pression due à l’altitude, elles sont gonflées à bloc. En début de vol je m’étais fait la remarque de faire bien attention en l’ouvrant. En fin de vol, la fatigue aidant, il ne me reste plus qu’à boire ce qui reste et essayer de nettoyer les dégâts. Au moins, ça occupe...
Une fois que tout cela est fini, le DV nous redemande où nous en sommes au niveau pétrole. Notre réponse le satisfait et il me confirme que l’option retour direct est toujours maintenue, avec une petite précision :
" Le tanker est un peu juste mais il fait super beau à Istres donc on tente. Au pire on se posera à Zara. Ca tombe bien, Zara est White."
(*) IFR : Instruments Flight Rules, règles de vol aux instruments. Caractérise un vol où la navigation ne repose pas sur les repères visuels.
Je ne peux m’empêcher de sourire à la plaisanterie, pourtant éculée. Je refais les calculs avec les infos données par mes équipiers. J’arrive moi aussi au même résultat et je constate qu’il n’y a plus de marge. La moindre surconsommation, le moindre détour sur la route prévue et il faudra écourter vers la Corse. Et une fois passé la moitié du trajet entre la Corse et Istres, il faudra que les contrôleurs soient compréhensifs. Au pire il nous restera encore l’option de fermer notre plan de vol IFR(*) et de passer avec les contrôleurs militaires. Une option pas très académique mais qui permet parfois de faire avec les militaires ce qu'on ne peut plus faire avec les civils. A manier cependant avec prudence car rien n’est jamais garanti. De toute façon, nous n’allons pas tarder à être fixés, Nous entrons en effet en FIR France, c’est à dire dans notre espace aérien français. Ca commence à sentir l’écurie ! Encore quelques minutes et nous commençons à apercevoir les sommets enneigés de la Corse. L’île est vraiment magnifique. Je ne me lasse pas de faire du tourisme depuis mon balcon. Bientôt nous arrivons au dessus de Calvi et les plages n’ont rien à envier à celles d’Egypte ou d’ailleurs, mis à part peut-être, la température de l’eau aujourd'hui. Malheureusement c’est beaucoup trop court. Je fais bien quelques photos mais elles seront en noir et blanc et il ne me restera que ma mémoire pour retrouver les couleurs. Peut-être aussi un coup de Photoshop si j’en ai le courage et le talent. Les couleurs sont tellement particulières que je ne pense pas pouvoir y arriver un jour. Et nous revoici dans le bleu une nouvelle fois.
Le dernier check pétrole a été correct, juste correct pour le tanker, qui doit se poser après nous. Il nous demande donc de faire vite pour ne pas trop avoir à attendre en l’air. D’ailleurs pour bien appuyer sa demande, il nous fait changer de fréquence pour passer avec Istres approche le plus tôt possible. Et dans la foulée, débute une descente économique vers le terrain. Quelques nuages sont visibles au loin et je fais revenir tout le monde auprès du tanker, de façon à être le plus réactif possible. Nous avons ce qu'il faut comme pétrole, mais rien de trop, il ne faut donc pas le gaspiller avec des pertes visuelles intempestives. Tout le problème des missions justes en fuel se trouve à l’arrivé. Quand on a juste le pétrole nécessaire pour rentrer à la maison, il faut y rentrer du premier coup. Et donc anticiper suffisamment pour ne pas se retrouver coincé par un imprévu qui nous ferait passer sous les minimas. Aujourd'hui nous avons les minimas, c’est tout, donc rien pour des fioritures ou des pertes de temps. Il faut donc que tout le monde soit professionnel jusqu’au bout des ongles, malgré la fatigue, malgré les courbatures, malgré l’envie de pisser ou quoi que ce soit d’autre.
Docilement, les équipiers se rapprochent, conscients comme moi qu’il faut faire propre et carré. Les nuages se rapprochent et c’est en patrouille serrée sur le Boeing que nous traversons cette petite couche. Dessous apparaît la Camargue et, perdue au nord des terminaux pétroliers, la piste du terrain. Je briefe rapidement tout le monde sur la procédure que nous allons suivre pour nous poser, à savoir un vent arrière direct dans l’ordre de la patrouille.
Tout le monde acquiesce. Il ne nous reste plus qu’à attendre l’ordre donné par le Boeing qui nous libèrera. C’est en effet lui qui va dimensionner le circuit. A nous de nous adapter pour ne pas le gêner et se poser le plus rapidement possible. Nous arrivons au large d’Istres. Le parking est en vue, et le Boeing nous lâche. Je descends en dessous de lui, suivi de mes équipiers. Je contacte l’approche et demande à passer avec la tour pour intégrer le plus vite possible le circuit d’atterrissage. Ils se montrent compréhensifs et nous sommes autorisés à descendre et à changer de fréquence. Ce faisant je laisse encore la vitesse augmenter, pour assurer l’espacement avec le Boeing. Sur ma droite un F1 attend sagement, à une cinquantaine de mètres de moi. Détaché sur fond de méditerranée et de côte ensoleillée, l’image est magnifique et gravée dans ma mémoire. Nous continuons la descente en laissant maintenant la vitesse diminuer doucement. Il faut que je laisse mes équipiers avec les bons paramètres en vent arrière. Deux raisons à cela: Ils ne feront pas de bêtises car ils seront à la bonne vitesse pour sortir les éléments, et ils seront dans les conditions qu’ils ont toujours connues pour se poser. Donc je minimise le risque d’une remise de gaz pour mauvaise présentation.
Nous voilà maintenant en vent arrière. Je donne le premier top et je vois les AF(*) du dernier F1 qui sortent, le faisant rapidement reculer par rapport à nous. Puis un deuxième top et je suis tout seul pour finir ma mission, poser mon avion à 7000 km de son point de départ. La vitesse est bonne, je sors le train, réajuste les gaz, puis les pleins volets sont dehors. Toutes les lampes sont allumées vertes, les pressions sont bonnes. Je pars en dernier virage. Je laisse un peu filer la vitesse avant de dégauchir face à la piste, histoire d’assurer encore un peu de marge aux suivants. Puis je vais chercher doucement la bonne vitesse et la bonne incidence. Pas la peine de se précipiter, j’ai presque 5 km de piste devant moi. Un dernier coup de manche, doucement pour arrondir et je touche les roues après 6h25 minutes de vol. Je laisse l’avion rouler puis dégage la piste et contacte le sol.
Je rejoins le parking et c’est avec joie que je coupe le moteur et ouvre la verrière. Le mécano au sol est tout sourire. Une fois les sécurités en place, je m’extirpe avec joie de ce qui fut mon chez moi pendant ce vol un peu particulier. Bientôt les autres pilotes du convoyage me rejoignent. Nous discutons de la performance du jour. Puis l’un d’eux me tend une bière avec un petit panneau en carton. C’est mon commandant d’escadron, lui qui était DV dans le Boeing. Sur le panneau il est écrit :
" Stef 3000h+ A BOIRE !!!!!!!"
Merci chef !
(*) AF : Aérofreins.
En fait c'est le récit d'une mission toute simple, complètement basique.
La veille une mission se déclenche sur une base en France, pour porter une pièce à un avion en panne. Il faut un pilote. Tout le monde n'est pas enchanté par ce genre de mission, parce que certains trouvent cela plat et sans relief, avec peu d'aventures ou de plaisir. Et pourtant ...
Donc je dépose mon plan de vol. Le lendemain matin, arrivée à l'escadron, tranquille. Un petit café, un bon croissant et j'attends l'heure de mon décollage. Une fois l'heure arrivée, je vérifie en piste que la pièce est bien à bord, que j'ai bien tout les papiers qu'il faut. Comme j'ai un biplace, je vérifie aussi, avant de faire le tour avion que la place arrière est bien brêlée, et que les dernières sécurités ou caches sont bien en place, là ou il faut. Tour avion, brelage, démarrage, roulage, tout ça se passe bien, dans le matin clair où je suis le seul à rouler à cette heure matinale de la journée.
Arrivé à l’alignement, je reçois de la tour ma clearance directe vers mon niveau de croisière.
Que du bon. Il fait beau, le ciel est bleu, l'air est calme.
Sur la piste, soigneusement aligné au milieu, je pousse le moteur sur plein gaz et PC(*) Mini. Le moteur réagit comme il doit, les aiguilles tournent, les lampes s'allument dans le bon ordre, au bon moment.
"Clair Take Off"
(*) PC : Postcombustion. Injection de carburant dans un canal prolongeant la tuyère du réacteur pour augmenter la poussée.
Top chrono et je lâche les freins.
L'avion s'ébroue, accélère franchement. Pleine Charge, coup dans les reins, le badin monte. 11 sec 100 Kts tout baigne.
Je décolle, rentre le train puis les volets. 15 ° boule je laisse l'avion accélérer, pleine charge PC. L'approche me donne mon cap je vire et commence à monter.
Le F1 en lisse est un dragster, déjà 450 Kts 25 degrés boule, et l'alti joue les ventilateurs. Les altitudes s'égrènent en niveaux que je libère, le Mach monte. 0.9 et il faut reprendre la cadence sur la profondeur pour ne pas passer supersonique. Niveau 200, tout baigne, la pressu cabine est bonne, Niveau 300, avec les contrôleurs du centre de contrôle qui m'ont pris en compte. Changement de fréquence, d'IFF, l'avion monte toujours. Niveau 350, la pente se casse un peu, je rends la main pour reprendre de la vitesse. Niveau 400, j'arrondis souplement, et stabilise à mon niveau de croisière, FL 405 à 0.9 de mach. Un nouveau cap, je vire en stoppant le chrono, et regarde sous moi la base d'ou je viens de décoller.
Je suis à 13500 m d'altitude. Depuis combien de temps j'ai décollé ? Un coup d’œil au chrono, pour voir que je suis arrivé a mon niveau en un peu plus de 4 minutes. Putain d'ascenseur ... Dire que certains n'aiment pas ça ....
Le PA est enclenché, le cap vérifié, et je suis maintenant assis dans le ciel, à admirer la terre. Au dessus de moi le ciel est bleu foncé, presque blanc sur l'horizon, des petits cumulus de beau temps commencent à se former, boules de coton posées sur la mosaïque des champs. Un peu plus tard je verrai la chaîne des Pyrénées, dans sa totalité, alors que je n'en suis encore qu'a 350 km. La visi est bonne, j'annonce le visuel à un contrôleur sur un civil qui passe à 55 nautiques de moi. Je triche un peu c'est sa traînée que je vois. Le point blanc de l'avion je ne le verrais qu’à 45 nautiques.
Il faut bien se faire plaisir un peu non ?
Convoyage
3h du mat.
Encore une fois les missions intéressantes commencent à des horaires pas vrais. Tant bien que mal j’émerge de ma nuit trop courte. Mal dormi, malgré la clim. Il fait 28 degrés. Je prends une douche pour essayer de me réveiller complètement. Mes idées s’éclaircissent sous l’eau fraîche qui coule. Puis je m’habille, je boucle mon sac et je sors de la chambre. J’ai aussitôt l’impression d’être entré dans un sèche cheveux. Le vent qui souffle m’assèche instantanément, il fait 33 degrés. Ca va être coton pour le décollage. Petit dej' rapidement avalé, je hais la mal bouffe ricaine, et le café, comme d’habitude, est plus dégueulasse que de l’eau de vaisselle. Les autres sont un peu comme moi, perdus dans la fin de leur nuit, plissant les yeux sous les néons du mess, peut-être concentrés sur la mission future. On monte tous dans le bus et on part vers les avions. Arrivé à l’escadron, direction le vestiaire pour se changer. Il y a beaucoup de trajet à faire au dessus de l’eau et c’est donc combinaison étanche pour tout le monde. Vu la chaleur, je décide de ne pas mettre le babygros, sous-vêtement chaud qui doit nous aider à lutter contre l’hypothermie, en cas de pas de chance. De toute façon l’eau est à 17 degrés, il fait beau et je n'ai pas du tout l’intention de tenter de vérifier le bon fonctionnement du MK 10. Puis après tout ça n’est que mon problème, na ! Il n'empêche qu’en sortant du vestiaire, alors que la température a dû grimper encore, j’ai l’impression de passer au four. Vivement le niveau 300 et la fraîcheur. On finit de s’équiper et on passe au briefing.
Aujourd'hui c’est un peu particulier pour moi, et ce, pour deux raisons. C’est ma 3000ème heure de vol et je vais la passer au cours de ce qui risque être le vol le plus long de ma carrière militaire. Je suis leader des chasseurs pour ce convoyage et je suis entouré de deux bons copains. Je leur explique les particularités de ce vol et surtout les deux ou trois formations que je voudrais faire en vol. Elles seront filmées par le boomer, histoire que j’aie un souvenir. Tout se passe parfaitement bien et ils sont heureux de savoir qu’ils auront quelques petites choses à faire pendant le vol, histoire de rompre la monotonie du convoyage. On check une dernière fois la doc, un 'tit coup de fil aux Boeing pour être sur que tout est comme prévu et on part aux avions. Une nouvelle fois, peut-être encore plus qu’avant, je prends la chaleur en pleine figure, anti-G et MaeWest en plus sur le dos, que du plaisir. Pourtant il n’est que 4h30 du mat.
Arrivé à l’avion, nous avons le plaisir de recevoir nos repas pour le vol. C’est assez irréaliste comme menu. Je vous laisse juge. Aujourd'hui nous avons, pour manger dans un avion de chasse à 30 000 pieds au dessus du désert : De la viande, façon Kebab, en petits morceaux régulièrement coupés, dans son sachet en plastique. Pour accompagner ça, de la salade et des tomates, heureusement entières et du pain. Il y a aussi une pomme, deux pack de jus de fruit (format ration individuelle quand même) une bouteille d’eau de 1.5L et summum du summum, dans un autre petit sachet en plastique, au moins 100 g de fraises fraîches !!! L’américain qui me donne ça avec un grand sourire ne doit pas savoir ce que c’est qu’un avion de chasse, à plus forte raison, un avion de chasse français. Comment je vais faire pour manger tout ça dans l’avion ?
Pas trop le temps de réfléchir de toute façon, il faut s’installer et ne pas être en retard pour le check radio avec le Boeing. Je verrai plus tard pour ranger ce bordel. Une fois installé, le mécano check avec moi que tout est bon puis il descend et enlève l’échelle. Je branche la radio et fais le premier check avec mes équipiers. Ils sont là, prêts. Il ne reste plus qu’à attendre que le Boeing fasse le check et on pourra mettre en route. Le temps passe doucement et il fait de plus en plus chaud. Je ne sais pas si c’est parce que la température augmente vraiment ou si c’est parce que je ne sais pas quoi faire, mais j’ai vraiment chaud.
La radio grésille enfin et le commandant de bord du Boeing check ses petits. Comme nous sommes tous là, il demande la mise en route pour tout le monde. Pas de problèmes, tout se déroule comme prévu, sauf qu’il fait toujours aussi chaud. Enfin le dispositif reçoit le message libérateur et nous sommes autorisés à rouler vers le point de manœuvre. Comme prévu par la procédure, c'est à moi qu’échoit l'honneur de rouler devant le Boeing. Honneur dont je me passerais bien. La base est grande comme la moitié de la Corse et pleine de taxiways dans tous les sens. (J’exagère à peine, le périmètre de la base fait dans les 300 km si je me souviens bien) Tant pis pour l’honneur mais je préfère faire quelque chose de propre et je demande au Boeing de me guider. Ils sont 3 dans le cockpit avec le temps de regarder la carte en détail. C'est finalement assez simple et je me trouve assez vite en vue du point de manœuvre. Je fais changer de fréquence et je contacte la tour pour demander l'autorisation d'alignement. Dès que je reçois celle ci, je roule doucement vers l'entrée de la piste. J’en profite pour me rincer les yeux en passant devant le hangar du U-2(*) qui est dehors aujourd'hui. Quel oiseau bizarre, plein de bosses, aux plumes démesurées. Tout en noir il est impressionnant. Pourtant il me parait tout petit parce que beaucoup plus court sur patte que mon oiseau. Pas le temps d une petite photo, non pas que l’envie me manque, mais on nous a bien expliqué qu’il valait mieux ne pas en faire si on ne voulait pas avoir trop de soucis pour les clearances de départ. Une sécurité tatillonne parait il ...
(*) Lockheed U-2 : Avion de reconnaissance stratégique américain, aux secrets toujours jalousement protégés par l’US Air Force !
Dommage quand même, pour une fois que j'en vois un. Pas trop le temps de m'apitoyer sur mon sort de toute façon puisque il faut que je m’aligne avec mes équipiers puis que nous commencions la mission. Il est 4h 45 ou 5h du matin, je ne me souviens plus très bien. Je demande l'autorisation de décoller. La tour me passe les derniers éléments météo et m'autorise le décollage. 37° le décollage va être en douceur... Heureusement qu’il y a 4500 m de bande devant mon nez. Je fais le signe ad hoc pour signifier aux équipiers de mettre plein gaz. D’un coup de tête ils me répondent. Je check mes paramètres, la température tuyère est bonne, la pc s'allume, le nez de l'avion s'affaisse sous la poussé du réacteur, lampe verte, pouces levés, coup de tête, je lâche les freins. L'avion commence à avancer, pas trop vite, je passe pleine charge, un coup dans les reins, signe que tout va bien et la vitesse augmente. 50 Kts, le badin décolle, 80 Kts, je vérifie en tête haute que l'accélération est bonne. Il n’y a plus qu’à attendre la vitesse de rotation. 150 Kts et je sollicite doucement le manche vers l’arrière. Rien ne se passe. Il faut que j'augmente la pression sur le manche pour que le nez daigne frémir un peu.
Encore un peu de pression et ça y est, la vitesse aidant, le nez se lève franchement. Je garde la pression et j'attends que la vitesse augmente. Déjà presque 1500 m d'avalés, 170 Kts à la pendule et l'avion s'arrache du bitume pour retrouver son élément favori.
Ne pas chercher à monter trop, d'abord rentrer le train et continuer d'accélérer. 200 Kts je rentre un cran de volet, l'avion s'enfonce très nettement. Fait vraiment très chaud. 250 Kts et je rentre tout les volets en ayant une nouvelle fois l'impression très nette que l'avion s'enfonce une nouvelle fois. Le risque, dans ces cas là, c'est de vouloir contrer trop brusquement cette impression et de se retrouver en second régime à 100 m du sol. Mais il y a quand même encore de la marge et je laisse l'avion accélérer. Derrière moi les équipiers s'annoncent "airborne", voila un souci en moins. Je vire pour revenir vers le terrain et rassembler ma troupe. Ils arrivent vers moi, je les surveille par dessus mon épaule, un peu comme une mère poule. Ok, ils sont en place. Maintenant il faut que je vérifie ma position par rapport au terrain. Je le vois au loin, les effets de la chaleur sur l'accélération de l'avion nous ont emmenés bien loin. Il va falloir que j'anticipe le top décollage pour le tanker. Voila on y arrive. Je lui donne le top travers –qui n'est pas travers– puis je revire une nouvelle fois vers le terrain. Nous sommes dans l'axe de la piste à 2000 pieds à 300 Kts. J'estime trente secondes restantes et je l'annonce au tanker. Celui ci lâche alors les freins. Je ne le vois pas qu’il commence à rouler. Il semble arrêté sur la piste. Pourtant petit à petit, je le vois enfin qui bouge, qui accélère, qui accélère encore, puis qui finit par décoller. Ouf ! Deuxième souci en moins.
Tout le monde est en l'air, on va pouvoir rentrer à la maison. Il ne reste plus que 5000 km à faire et deux ou trois choses annexes. Mais on aura bien le temps de voir. On prend donc notre place auprès du Boeing et on le laisse faire le travail. Au début c'est un peu astreignant car il faut rester collé à lui pour ne pas donner l'impression de s'éparpiller dans les airs. Ce qui a, en général, le don d'énerver assez vite les contrôleurs. A plus forte raison si ceux ci sont saoudiens et donc aussi souples et compréhensifs qu'un bloc de carbone ... De toute façon ça tombe bien parce qu'il n'y a rien à voir pour le moment. La chaleur aidant, il règne dans cette région une brume sèche qui empêche de profiter du spectacle. Comme en plus le spectacle, pour le moment, ce n'est que du sable...
Nous restons donc sagement près du Boeing et je profite du spectacle. Parce que c'est quand même sympa de regarder ça de près, surtout avec un avion dans chaque aile. Je repense encore une fois, une énième fois, que le F1 est vraiment un bel avion, un très bel avion. Nous finissons quand même par arriver à notre altitude de croisière et nous avons le droit de relâcher la formation. Le DV (Directeur des vols, chargé de toutes les décisions pour les chasseurs sur le long terme et qui se trouve dans le poste de pilotage du Boeing) en profite pour me contacter :
"Candide du DV ?"
"Vas y je t'écoute"
"Fuel ?"
"45"
"OK, comme prévu"
Je vais donc pouvoir essayer de ranger un peu mon bordel dans la cabine. Il y en a un peu partout et ce n'est pas très safe. D'abord, placer la doc de façon accessible, surtout "l'en route" où nous avons soigneusement marqué les pages avec les terrains de déroutements. Une fois que cela est fait et que les différents documents ont trouvé tant bien que mal une place dans la cabine, je m'occupe de mon sachet repas. Première chose la bouteille d'eau. C'est elle qui prend le plus de place et que je dois garder accessible. Puis ensuite il s'agit de faire le tri dans l'incroyable sachet que l'on m'a remis au départ. J'ai déjà éliminé la viande en la laissant discrètement au mécano avant de partir, mais il me reste encore les fraises... Vu leur état je décide d'avancer l'heure de mon repas et de le faire par étapes. Je dois bien dire que manger des fraises, sanglé dans un cockpit à 25 000 pieds est une expérience particulière. Non pas que cela soit particulièrement difficile, mais la situation est pour le moins incongrue. Il survient alors un problème auquel je n'avais pas pensé. Si manger des fraises est bien agréable, il faut quand même le faire avec les doigts. Et c'est une fois les fraises englouties que je m'aperçois que je n'ai pas de serviette. Détail certes, mais je me vois mal passer le restant du vol avec les doigts collants. Dans ces vols la, le moindre détail peut devenir très perturbant.
Je fouille donc partout dans l'avion pour essayer de trouver un morceau de papier qui pourrait jouer le rôle de serviette. Bien sur, à part une vielle carte que je devais garder à titre sentimental, allez donc savoir pourquoi, je ne trouve rien. Je me débrouille tant bien que mal avec et une fois que tout est fini je commence à jouir du spectacle du monde qui défile sous moi. Nous sommes dans la partie ouest de l'Arabie Saoudite et le désert se déroule sous nos ailes. Un désert noir, ocre et jaune, alternance de rochers, de coulées de lave et de sable. Il n y a peut être jamais eut de volcan ici, mais vu de ma place ça y ressemble bigrement en tout cas. Plus loin vers le sud, il y a la Mecque et son terrain, strictement interdit aux non musulmans. Si un problème devait arriver maintenant, on nous a conseillé gentiment mais très impérativement de nous éjecter plutôt que de tenter de le rejoindre. Il serait beaucoup plus facile de venir nous chercher dans le désert que dans les prisons saoudiennes...
Pas trop le temps de penser à ça de toute façon puisque l'heure du premier ravito arrive. Docilement les avions se rapprochent du tanker. Un à gauche, un à droite, le troisième un peu en retrait à droite, les tuyaux des pods se déroulent, je stabilise ma position et trime mon avion du mieux que je puisse. J'annonce pour tout le monde les actions vitales avant ravito et dès que je suis autorisé, je me mets en position pour ravitailler. Le ravitaillement sur pod est bien plus facile que sur le boom central. Il y a beaucoup moins de travail à faire aux gaz et la position est plus souple à tenir. Il n'empêche qu’il y a aussi des pièges à éviter, notamment celui de la vitesse d'entrée dans le panier. Trop lentement et le gland(*) ne s'enclenche pas, trop vite et le pod n'arrive pas à enrouler le tuyau assez vite. Il en résulte un coup de fouet qui a vite fait de sectionner le gland du ravitaillé.
(*) Gland : Dispositif situé à l’extrémité de la perche de ravitaillement du chasseur, assurant la connexion avec le panier du ravitailleur.
Mais je m'applique et tout se passe bien. Une fois enquillé, le deuxième avion est autorisé à en faire autant. De ma position je ne peux pas trop le surveiller. Dans ces cas la on juge de la situation aux messages radios échangés. On essaye de jauger la voix du pilote qui demande le contact, de deviner s’il est nerveux ou trop détendu, on essaye de parer à toute éventualité en se présentant mentalement tout les cas envisageables. Seul le silence est rassurant, comme aujourd'hui. D'ailleurs un convoyage c'est rarement bruyant. C'est plutôt, du moins les miens étaient comme cela, un long voyage solitaire, entrecoupé de quelques voix, passés à admirer le monde et sa beauté depuis une position privilégiée. C'est presque contemplatif. Une fois mon plein fini, je m'applique à sortir le plus proprement possible du panier. Le troisième avion attend sagement son tour à droite du tanker. Me voyant sortir, il commence à se rapprocher du Boeing et prend sa place dans le manège. Le deuxième sort, recule doucement, puis comme briefé, s'éloigne sur la droite pour laisser la place. Un coup d’œil au chrono, il est H moins 30 minutes. Devant nous, la mer rouge arrive, avec ses lagons bleu carte postale. Il fait beau. On va pouvoir faire des photos.
Je laisse le dernier avion finir son plein, puis une fois que qu’il a quitté le contact, je ne peux m’empêcher de parler a la radio :
"Messieurs .... TOP 3000 !!!"
Et de faire un tonneau pour fêter l’événement comme il se doit. Dans mon avion je suis content, et pourquoi ne pas l’avouer assez fier de passer ce cap. Ca n’est quand même pas si souvent que cela arrive et je me souviens de ce que je ressentais quand, élève, je croisais un vieux avec autant d’heures. Ca me semblait le bout du monde et le fruit d un travail inhumain. Et aujourd'hui, c’est moi qui y suis, sans avoir vu le temps passer, avec des moments roses et d’autres noirs. Mais ne boudons pas notre plaisir. Il y a encore un petit bout de désert à survoler avant d’arriver sur la côte. Ca nous laisse juste le temps de nous mettre en place pour faire de belles photos. Je demande donc à mes équipiers de venir en formation, une fois que le commandant de bord du Boeing m’y a autorisé. Les formations seront toutes simples, juste pour le plaisir de garder de belles photos et de belles vidéos de ce moment unique. La côte arrive sous nos ailes, avec ses reflets turquoise. Vue de ma place elle est vraiment magnifique. Les équipiers sont en place, la camera tourne, le photographe, photographie. Sous nous défile une île en forme de dauphin. Puis elle s’éloigne et disparaît. On resserre la formation et au top, les équipiers font un éclatement final en douceur. Finalement ça a été très court, mais le photographe est enthousiaste. J’aurai donc de beaux souvenirs. Il me demande d’ailleurs si je ne peux pas me rapprocher un peu pour faire des photos de mon avion d’un peu plus près que d’habitude. C’est avec plaisir que je m’exécute. Nous passons au dessus de Sharm el Sheikh. A l’époque je ne savais pas que j’y passerais tout mes WE pendant un an. Comme quoi la vie est pleine de surprises !
Il faut passer maintenant à la phase suivante. Je commence en effet à avoir faim et soif. Je l annonce donc a la radio et je m’écarte un peu de la formation. J’attrape une des barres énergétiques que j’ai gardées du menu. Elle n’a pas beaucoup de goût ou est trop sucrée, en fait je ne sais pas bien. Je ne fais pas attention, et je me dis que j’ai peut être laissé la viande du menu un peu vite. Tant pis pour moi, ça ne semblait quand même pas très pratique. Je me rabats sur la pomme qui, elle, est parfaitement à mon goût. Pendant ce temps la, l’alarme oxygène me gueule dans les oreilles que je ne respire pas assez. Je finis par couper l’interrupteur d’alarme et, dans un silence retrouvé, je finis ma pomme, en regardant au loin, le ruban vert de la vallée du Nil qui sort du désert. C’est étonnant de voir comment seul un ruban existe au milieu de tout ce sable. A l’aller, depuis le Boeing, j’avais vainement essayé de voir les temples et palais égyptiens. J’espère que j’aurai plus de chance ce coup ci, car je devrais avoir plus de visibilité depuis mon cockpit. Je me tords donc le cou dans tout les sens pour essayer de voir quelque chose. Mais, ignorant tout de l’emplacement de ces monuments, je ne parviens pas à en trouver un seul. Et de toute façon, les check pétrole que nous avons fait précédemment avec le DV font qu’il va falloir se remettre en place pour le deuxième ravito. Le ballet autour du tanker recommence, presque en silence radio. Pas grand chose à dire. Si ce n’est que le troisième ravitaillera au dessus du Caire ou sensiblement et ne pourra pas voir les pyramides. J’apprendrai plus tard qu’il les avait déjà vues à l’aller. Pour ma part je suis très déçu. On s’imagine les pyramides, magnifiques vestiges, survivant dans le désert et protégées du monde moderne... La réalité est tout autre. Elles sont mangées par la ville, presque englouties par l’urbanisation délirante du Caire. Vu d’ici on dirait plus un parc d’attraction que le témoignage d’une civilisation millénaire. Prendre de la hauteur, ça permet de prendre du recul. On juge parfois mieux alors la colossale stupidité de l’espèce humaine, capable en 100 ans d’en détruire 2000 et par la même de condamner son avenir. La Méditerranée arrive, le bleu, le calme. Je bois un coup. Pas trop quand même, je serais incapable de pisser dans leurs éponges ...
Il y a quand même un sacré morceau de Méditerranée à traverser, donc on s’ennuie un peu. Je compte les bateaux que je peux voir. Finalement, je m’aperçois que, s’il devait se passer quelque chose de grave, le bain serait relativement court. Enfin j’ose espérer que cela se passerait comme ça. Il y a bien le problème de la nuit, mais comme là il est déjà presque 10 h du matin... Le temps passe donc doucement, les seules annonces faites sont celles de la prise d’un repas, ou de la satisfaction d’un besoin personnel. Rien de bien passionnant en fait. Mais le temps passe vite, a surveiller quand même un peu l’avion, a suivre la nav et essayer de se repérer, mettre à jours les moyens de radio-navigation, discuter un peu avec le DV pour voir où nous en sommes par rapport au planning carburant prévu. Il faut savoir que ce convoyage a la particularité d être plus long dans un sens que dans l’autre, même si les routes employées sont les mêmes. Malheureusement, le vent, lui, est à dominance Ouest, ce qui fait, que trois fois sur quatre il faut, dans le sens Est Ouest, faire une escale. Or il semblerait, d’après les calculs que nous faisons le DV et moi même, contre vérifiés par le navigateur du Boeing, que nous sommes en retard sur la conso pétrole prévue. Nous l’avions un peu anticipé, en retenant l’option retour direct, mais tout le monde était bien conscient, à commencer par moi, que cela voudrait peut être dire qu’il faudrait se poser en route sur un terrain non prévu. Au mieux la Corse et Solenzara, au pire un terrain quelque part en Italie.
Un convoyage ça se joue en finesse. Il faut rester derrière le Boeing, ni trop près, ni trop loin. Trop près, on prend le risque de se faire surprendre par le tanker et de lui rentrer dedans, trop loin et les contrôleurs civils (on fait le convoyage en espace civil) gueulent parce qu’on prend trop de place dans leur espace. Comme il est quasi impossible de trouver le régime moteur exact qui nous fera tenir en place pendant tout le vol, toute l’astuce consiste à déceler suffisamment tôt un mouvement dans un sens ou dans un autre. Et de réajuster le plus doucement possible le régime pour consommer le moins possible. La plupart du temps les pilotes qui font leur premier convoyage sont tout le temps en place. Mais en jouant sans arrêt avec la manette des gaz. Sur 4000 nm au final ça fait pas mal de différence. Ou on tombe sur l’excès inverse. Le pilote joue très peu avec la manette des gaz et dans ce cas là, n’est jamais en place, voir parfois 5 ou 6 km derrière le tanker.
Aujourd'hui ça se passe pas mal et mes équipiers semblent avoir envie de rentrer le plus vite possible à la maison. Parce qu’un plan de vol pour un Boeing et 3 chasseurs, une fois que l’on s’est dérouté, ça ne se négocie pas en 1/4 d’heure par téléphone. Surtout quand l’interlocuteur a du mal avec l’anglais ou ne maîtrise pas suffisamment son job pour exécuter une demande qui est, il faut bien l’avouer un peu particulière. Donc après une bonne discussion avec le DV nous décidons d’un commun accord de retarder le prochain ravito. Ca permet de nous alléger encore un peu, donc de monter plus haut et de consommer moins. De plus pour le ravito suivant comme nous serons plus légers, nous pourrons ravitailler plus haut, donc encore une fois économiser encore un peu.
A chaque fois on ne joue pas sur de grosses quantité de fuel mais au bilan sur plus de six heures de vol, ça commence à faire pas mal de litres qui sont économisés. Les calculs restent cependant assez fins, dépendent beaucoup du vent, qui forcement n’est pas le même quand on monte, mais aussi de la fatigue de tout le monde, fatigue qui rend les gens moins attentifs, moins précis et pouvant aussi parfois les pousser à annoncer des pétroles supérieur à la réalité, juste pour pouvoir rentrer plus vite. Difficile a détecter, assez rare, mais très ennuyeux quand ça commence à merd.....
Comme je le disais, tous ces petits calculs prennent quand même pas mal de temps, et je ne vois pas défiler la mer en dessous de nos avions. Une fois que tous les calculs sont faits, le travail n’est pas fini pour autant. En effet, lorsque l’on choisit des options un peu tangentes, il reste un petit doute au fond de l’esprit qui fait que l’on attend la prochaine échéance avec une certaine appréhension. Dans notre cas, nous avons fait tout les calculs que nous pouvions, mais nous avons quand même fixé un point de non retour, point où il faut plus d’une certaine quantité de pétrole pour continuer suivant l’option retenue. La progression vers ce point n’est pas angoissante, elle est juste extrêmement surveillée. D’autant plus qu’un autre facteur commence à entrer en ligne de compte : Celui de la limite de temps de vol. Le F1 est limité en temps de vol, à cause de sa consommation d’huile. En temps de paix on ne peut déroger à cette limite. Or, nous arrivons à déjà plus de 4h30 de vol. Le navigateur du Boeing bosse pas mal pour essayer de nous donner une estime correcte de l’arrivée à Istres. Il doit envisager un certain nombre d’options, y compris celle du mistral dans la vallée du Rhône ! Avec le DV ils discutent pas mal, d’autant que le temps de vols max prévu flirte d’assez près avec la limite max autorisée. Dans ces cas là tout le monde est un peu nerveux. Pas parce que l’on craigne quoi que ce soit, mais plutôt parce que l’idée que l’on s’était faite durant tout le vol que le retour à la maison allait être rapide et sans souci est mise à mal par un stupide problème de consommation d’huile. D’autant plus stupide que cette limite est théorique et que la pratique prouve tous les jours que l’on peut aller au delà sans prendre aucun risque. Il faut donc bien faire attention à ne pas se laisser tenter par l’option la plus courte ou la plus facile, du genre on fait 10 minutes de plus que le temps max et on économise une étape et 2h de perdues. On fait alors tomber toutes les limites de sécurités et si il arrive un gag à ce moment la, il sera immédiatement grave. Plus d’huile et plus de carburant, au dessus de la mer, et vous pouvez commencer à réfléchir à ce que vous allez expliquer à la commission d’enquête.
Bref autant ne pas jouer, ça ne vaut pas du tout le coup. Surtout que nous ne sommes partis que deux jours et qu’une étape de plus ne nous retardera que de deux ou trois heures. Avec toutes ces réflexions arrive le moment du troisième ravito. Déjà presque 5 h de vol, il faut donc que tout le monde soit attentif. La fatigue est là, insidieuse, même si personne ne se sent fatigué. Un seul moyen pour parer à tout incident : Continuer à faire de la façon la plus rigoureuse possible, sans autoriser le moindre raccourci dans la procédure. Surtout faire comme d’habitude. Alors on se rend compte que la fatigue est bien là.
On a du mal à trouver le bon régime moteur en observation, le contact est moins propre que d’habitude, pourtant la vitesse semblait bonne... Pour tenir la position, il faut se battre un peu plus, oh pas beaucoup, plus parce que tout le monde vous observe, surtout quand vous êtes le leader, mais on s’aperçoit alors que des crampes se réveillent doucement. La fesse gauche aussi se réveille, protestant énergiquement contre l’inconfort de ces sièges éjectables. Tous les trucs des premiers ravitos doivent alors venir à votre aide pour ne pas se bloquer et rester décontracté le plus longtemps possible. Heureusement qu’avec les pods, la position en ravito est beaucoup plus facile à tenir. J’imagine que la même chose avec un boom central et donc des tenues de place beaucoup plus fatigantes, doit être épuisante au bout d’un si long temps de vol. Je finis mon ravito et je sors sur la gauche du tanker. Je peux voir alors les effets de la fatigue sur mes équipiers comme eux ont dû les voir sur moi. C est surtout flagrant en entré et en sortie de tuyau, où les pilotes qui ravitaillaient avec autorité et fermeté il y a 4 h, semblent être redevenus des débutants apeurés derrière leur premier tanker. Mais ça se passe plutôt bien, les positions hésitantes étant vite stabilisées. Nous finissons le plein quelque part en Italie et nous nous préparons doucement à la dernière partie du voyage. Le commandant de bord du Boeing, qui est aussi le chef du dispositif, me rappelle à l’ordre. Je suis un peu trop loin, et les civils commencent à grogner.
Il faut dire que nous arrivons dans des zones ou il y a pas mal de civils qui volent et nous les voyons qui croisent un peu partout au dessus de nous. Je resserre donc la formation, un peu vexé. La côte italienne nous distrait un peu. Il a l’air d’y avoir de charmantes places à explorer pendant des vacances et je me surprends à me dire que je commence à en avoir un peu marre d’être coincé dans le cockpit. Déjà 5h45 de vol et ma fesse gauche a de plus en plus tendance à protester. Je repousse les palonniers à fond et tente quelques mouvements pour me décontracter. Je retrouve un peu de sensations mais il est clair que le temps commence à être vraiment long. Tant bien que mal je m’étire autant que je peux puis décide d’aller voir dans le sachet repas s’il ne me resterait pas quelques friandises pour faire passer le temps. J’y trouve un Mars et une boite de jus de fruit. Comme de bien entendu le Mars a fondu dans son emballage et c’est toute une histoire pour arriver à le manger a peu près proprement, J’arrive quand même à ne pas m’en mettre plein les doigts et c’est presque avec fierté que je mets l’emballage dans la poche qui me sert de poubelle. Puis je prends le pack de jus de fruit, vous savez, ces petites briques individuelles, et plante fermement la paille dans l’orifice prévu à cet effet. Et la moitié du pack jaillit hors de la boite avant que j’aie le temps de réagir. Ces foutues boite sont fermées hermétiquement et avec la baisse de pression due à l’altitude, elles sont gonflées à bloc. En début de vol je m’étais fait la remarque de faire bien attention en l’ouvrant. En fin de vol, la fatigue aidant, il ne me reste plus qu’à boire ce qui reste et essayer de nettoyer les dégâts. Au moins, ça occupe...
Une fois que tout cela est fini, le DV nous redemande où nous en sommes au niveau pétrole. Notre réponse le satisfait et il me confirme que l’option retour direct est toujours maintenue, avec une petite précision :
" Le tanker est un peu juste mais il fait super beau à Istres donc on tente. Au pire on se posera à Zara. Ca tombe bien, Zara est White."
(*) IFR : Instruments Flight Rules, règles de vol aux instruments. Caractérise un vol où la navigation ne repose pas sur les repères visuels.
Je ne peux m’empêcher de sourire à la plaisanterie, pourtant éculée. Je refais les calculs avec les infos données par mes équipiers. J’arrive moi aussi au même résultat et je constate qu’il n’y a plus de marge. La moindre surconsommation, le moindre détour sur la route prévue et il faudra écourter vers la Corse. Et une fois passé la moitié du trajet entre la Corse et Istres, il faudra que les contrôleurs soient compréhensifs. Au pire il nous restera encore l’option de fermer notre plan de vol IFR(*) et de passer avec les contrôleurs militaires. Une option pas très académique mais qui permet parfois de faire avec les militaires ce qu'on ne peut plus faire avec les civils. A manier cependant avec prudence car rien n’est jamais garanti. De toute façon, nous n’allons pas tarder à être fixés, Nous entrons en effet en FIR France, c’est à dire dans notre espace aérien français. Ca commence à sentir l’écurie ! Encore quelques minutes et nous commençons à apercevoir les sommets enneigés de la Corse. L’île est vraiment magnifique. Je ne me lasse pas de faire du tourisme depuis mon balcon. Bientôt nous arrivons au dessus de Calvi et les plages n’ont rien à envier à celles d’Egypte ou d’ailleurs, mis à part peut-être, la température de l’eau aujourd'hui. Malheureusement c’est beaucoup trop court. Je fais bien quelques photos mais elles seront en noir et blanc et il ne me restera que ma mémoire pour retrouver les couleurs. Peut-être aussi un coup de Photoshop si j’en ai le courage et le talent. Les couleurs sont tellement particulières que je ne pense pas pouvoir y arriver un jour. Et nous revoici dans le bleu une nouvelle fois.
Le dernier check pétrole a été correct, juste correct pour le tanker, qui doit se poser après nous. Il nous demande donc de faire vite pour ne pas trop avoir à attendre en l’air. D’ailleurs pour bien appuyer sa demande, il nous fait changer de fréquence pour passer avec Istres approche le plus tôt possible. Et dans la foulée, débute une descente économique vers le terrain. Quelques nuages sont visibles au loin et je fais revenir tout le monde auprès du tanker, de façon à être le plus réactif possible. Nous avons ce qu'il faut comme pétrole, mais rien de trop, il ne faut donc pas le gaspiller avec des pertes visuelles intempestives. Tout le problème des missions justes en fuel se trouve à l’arrivé. Quand on a juste le pétrole nécessaire pour rentrer à la maison, il faut y rentrer du premier coup. Et donc anticiper suffisamment pour ne pas se retrouver coincé par un imprévu qui nous ferait passer sous les minimas. Aujourd'hui nous avons les minimas, c’est tout, donc rien pour des fioritures ou des pertes de temps. Il faut donc que tout le monde soit professionnel jusqu’au bout des ongles, malgré la fatigue, malgré les courbatures, malgré l’envie de pisser ou quoi que ce soit d’autre.
Docilement, les équipiers se rapprochent, conscients comme moi qu’il faut faire propre et carré. Les nuages se rapprochent et c’est en patrouille serrée sur le Boeing que nous traversons cette petite couche. Dessous apparaît la Camargue et, perdue au nord des terminaux pétroliers, la piste du terrain. Je briefe rapidement tout le monde sur la procédure que nous allons suivre pour nous poser, à savoir un vent arrière direct dans l’ordre de la patrouille.
Tout le monde acquiesce. Il ne nous reste plus qu’à attendre l’ordre donné par le Boeing qui nous libèrera. C’est en effet lui qui va dimensionner le circuit. A nous de nous adapter pour ne pas le gêner et se poser le plus rapidement possible. Nous arrivons au large d’Istres. Le parking est en vue, et le Boeing nous lâche. Je descends en dessous de lui, suivi de mes équipiers. Je contacte l’approche et demande à passer avec la tour pour intégrer le plus vite possible le circuit d’atterrissage. Ils se montrent compréhensifs et nous sommes autorisés à descendre et à changer de fréquence. Ce faisant je laisse encore la vitesse augmenter, pour assurer l’espacement avec le Boeing. Sur ma droite un F1 attend sagement, à une cinquantaine de mètres de moi. Détaché sur fond de méditerranée et de côte ensoleillée, l’image est magnifique et gravée dans ma mémoire. Nous continuons la descente en laissant maintenant la vitesse diminuer doucement. Il faut que je laisse mes équipiers avec les bons paramètres en vent arrière. Deux raisons à cela: Ils ne feront pas de bêtises car ils seront à la bonne vitesse pour sortir les éléments, et ils seront dans les conditions qu’ils ont toujours connues pour se poser. Donc je minimise le risque d’une remise de gaz pour mauvaise présentation.
Nous voilà maintenant en vent arrière. Je donne le premier top et je vois les AF(*) du dernier F1 qui sortent, le faisant rapidement reculer par rapport à nous. Puis un deuxième top et je suis tout seul pour finir ma mission, poser mon avion à 7000 km de son point de départ. La vitesse est bonne, je sors le train, réajuste les gaz, puis les pleins volets sont dehors. Toutes les lampes sont allumées vertes, les pressions sont bonnes. Je pars en dernier virage. Je laisse un peu filer la vitesse avant de dégauchir face à la piste, histoire d’assurer encore un peu de marge aux suivants. Puis je vais chercher doucement la bonne vitesse et la bonne incidence. Pas la peine de se précipiter, j’ai presque 5 km de piste devant moi. Un dernier coup de manche, doucement pour arrondir et je touche les roues après 6h25 minutes de vol. Je laisse l’avion rouler puis dégage la piste et contacte le sol.
Je rejoins le parking et c’est avec joie que je coupe le moteur et ouvre la verrière. Le mécano au sol est tout sourire. Une fois les sécurités en place, je m’extirpe avec joie de ce qui fut mon chez moi pendant ce vol un peu particulier. Bientôt les autres pilotes du convoyage me rejoignent. Nous discutons de la performance du jour. Puis l’un d’eux me tend une bière avec un petit panneau en carton. C’est mon commandant d’escadron, lui qui était DV dans le Boeing. Sur le panneau il est écrit :
" Stef 3000h+ A BOIRE !!!!!!!"
Merci chef !
(*) AF : Aérofreins.
Dernière modification par Knell le mer. mars 25, 2020 10:13 pm, modifié 1 fois.
#avionmoche : Mais le F35 reste moche ...
Re: DSe la lecture pour le confinement Chap II (et II bis)
#2Toujours fan absolu !
Déja vu dans ton bouquin le convoyage des 3000h, mais on s'en délecte toujours.
Euh ... au fait, les photos ou videos souvenirs sont déclassifiées maintenant non ?
Signé Werner, truffe qui remue les orteils en ravito sur DCS mais bon, ça suffit pas
Déja vu dans ton bouquin le convoyage des 3000h, mais on s'en délecte toujours.
Euh ... au fait, les photos ou videos souvenirs sont déclassifiées maintenant non ?
Signé Werner, truffe qui remue les orteils en ravito sur DCS mais bon, ça suffit pas
Re: DSe la lecture pour le confinement Chap II (et II bis)
#3Merci !!!
Heuuu je sais pas si j ai le temps de chercher si j en ai encore ....:D
#avionmoche : Mais le F35 reste moche ...
Re: DSe la lecture pour le confinement Chap II (et II bis)
#4Très chouette celle la, une de mes préférées !
Et santé !
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Re: De la lecture pour le confinement Chap II (et II bis)
#6J'ai lu que le put*** d'ascenceur. Je me réserve le reste pour plus tard.
Super sympa l'alti qui joue au ventilateur.
Super sympa l'alti qui joue au ventilateur.
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Re: De la lecture pour le confinement Chap II (et II bis)
#7"Zara est White", monsieur est connaisseur
Merci pour ce moment de liberté et d'évasion partagé, excellent !
Merci pour ce moment de liberté et d'évasion partagé, excellent !
Gigabytes H81M-HD3, Intel i3-7100 @ 3,91 GHz, NVidia GeForce GTX970, HDD 1 To, 16 Go RAM, WIN10 x64, BMS 4.34U4, HOTAS Warthog, EdTracker Pro
https://fr-fr.facebook.com/Le-vent-des- ... 442975366/
Re: De la lecture pour le confinement Chap II (et II bis)
#8Un régal à lire, merci beaucoup pour le partage et le temps pris pour mettre cette tranche de vie en mots...
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- Elève Pilote
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Re: De la lecture pour le confinement Chap II (et II bis)
#9Je crois que je l'ai loupé il y a deux ans... Honte à moi !
Que dire si ce n'est qu'on s'y croirait . Mais le modeste rampant que je suis ne le vérifiera jamais.
En tout cas, c'est génial. Je pense que sur ce forum, on ne te remerciera jamais assez, Knell, pour tes témoignages, celui-là étant plus "léger" et jouissif que certains autres.
Reste que les "Stef" sont les meilleurs !
Que dire si ce n'est qu'on s'y croirait . Mais le modeste rampant que je suis ne le vérifiera jamais.
En tout cas, c'est génial. Je pense que sur ce forum, on ne te remerciera jamais assez, Knell, pour tes témoignages, celui-là étant plus "léger" et jouissif que certains autres.
Reste que les "Stef" sont les meilleurs !
Re: De la lecture pour le confinement Chap II (et II bis)
#10+1flavonoide a écrit : ↑lun. mai 23, 2022 10:20 pmJe crois que je l'ai loupé il y a deux ans... Honte à moi !
Que dire si ce n'est qu'on s'y croirait . Mais le modeste rampant que je suis ne le vérifiera jamais.
En tout cas, c'est génial. Je pense que sur ce forum, on ne te remerciera jamais assez, Knell, pour tes témoignages, celui-là étant plus "léger" et jouissif que certains autres.
Reste que les "Stef" sont les meilleurs !