Bonjour à tous, voici les réponses d'ATAR à vos questions.... je les lui avais envoyées en avance de phase pour lui montrer quel genre de questions allaient lui être posé pendant sa conf'. Il a eu la sympathie de répondre (longuement) à chacune. Voici (bonne lecture) :
Comment décrirais-tu le changement de sensations ressenties en vol lorsque tu es passé du M2000 au Rafale ?
Il s’agit de deux avions d’armes. Donc les sensations sont globalement similaires. C’est un environnement dépouillé, étroit, que l’on pilote équipé d’un anti g, casque, masque et gants. Sur Rafale il faut porter un gilet spécifique (à l’époque où plus personne ne porte de gilet
) qui possède des rappels de bras en cas d’éjection. C’est donc plus sophistiqué, plus confortable aussi que le 2000, MF1, ou MIII.
1) Question haptique : Quelle est la sensation de vol qui te fait le plus défaut sur un simu et qui serait essentielle à reproduire ?
Il y a plusieurs choses. D’abord il n’y a pas de retour aux fesses. Or le pilotage se fait essentiellement aux fesses. Il y a un très léger retard sur le visuel. Pour finir, dans l’industrie nos simulateurs de développement sont équipés des vrais calculateurs avec les vrais logiciels et surtout les vrais « inceptions » (manche, manette et palonnier). C’est essentiel car les gens sous estiment l’importance de la friction, des seuils d’efforts, du jeu, du dash pot des commandes dans les qualités de vol.
2) Nous sommes des simmers et on veut s'amuser, mais en même temps 'faire genre'. Quel élément de scénario pouvons-nous ajouter dans nos missions pour leur donner plus d'intensité ?
Il faut que j’étudie d’abord les scénarios pour pouvoir répondre !! Et mon expérience est d’un autre âge…
J’aurais rêvé à l’époque construire une situation tactique avec des lignes, des sites radars, des sites missiles, des pistes, des ponts, des chasseurs en face etc… (connus dans une certaine mesure comme dans la vraie vie avec un renseignement qui fait ce qu’il peut), des capacités de brouillage et mes forces à moi avec l’armement qui va fondre comme neige au soleil et de l’attrition.
Et le jeu aurait consisté à faire la guerre jusqu’à obtention de la supériorité aérienne pour que les fantassins puissent prendre le terrain sans se faire laminer.
C’est un énorme travail, un super jeu de guerre vidéo mais cela aurait beaucoup de succès !!
Sur toute la gamme d'avion de combat que tu as piloté, quel est le changement de machine qui t'as le plus :
- mis dans le dure, le plus difficile à intégrer ?
- à l'inverse le passage le plus simple ?
Concernant les vols d'essais, as-tu fais des ouvertures de domaines ( si oui comment cela se passe-t-il ?)
Très simple : le passage sur le Rafale après une bonne expérience du 2000. Le système d’armes est plus complexe mais celui du 2000-5 ou -9 était excellent. Celui du Rafale s’est construit au fil du temps. A mon époque c’était le standard F1 et je n’en ai jamais connu d’autres. Le système du 2000-9 ou -5 était supérieur à celui du Rafale. Le vecteur est beaucoup plus performant, a les pattes plus longues etc..
Très difficile : refaire du Pitt’s après une interruption longue et n’avoir volé que sur des avions faciles comme 2000, Rafale ou Airbus.
quelques questions ci-dessous:
spécifique Mirage 2000:
Quelle est la procédure/check-list aligné piste avant le décollage. Notamment, avant lâcher des freins, applique-t-on 80%N ou bien 100%N ?
Je ne me souviens plus. Je crois que c’est 100%.
Briefing/debriefing: surement variable selon la mission évidement, mais combien de temps, et/ou quel ratio environ passiez-vous au briefing puis au debriefing.
quel temps maxi est-il toléré entre le briefing et le vol, au-delà duquel on refait peut-être un briefing ?
C’était très variable. Une heure avant l’heure de décollage pour une mission standard, 30 minutes de debriefing. Une mission très complexe nécessitera la journée complète, depuis la préparation, l’exécution et le débriefing. Une mission complexe (CAP, OAD, SEAD) avec un cadre tactique, un ravitailleur, des collègues, prendra de la préparation et une bonne heure de briefing. Il faut à mon sens éviter les sottises américaines consistant à briefer deux heures trente avant le vol, surtout si le décollage a lieu à 6:00 !! Non seulement les gens vont oublier l’essentiel mais ils ne tiendront pas une semaine à ce rythme !! Il faut durer (même si en France nous n’avons que 4 jours de munitions, paraît-il..).
que se passe-t-il pendant le roulage, quelles sont les tâches réalisées pendant le roulage ?
Pas grand chose, hormis les vérifications des contre-mesures, préparation et contrôle de l’armement. L’essentiel est fait avant la mise en route. L’USAF attend 15 minutes je ne sais quoi au point d’attente, mais l’US Navy est bien plus rapide !
En escadron, aviez-vous des séances d’entraînement à la mania ? des séances de voltige pure ?
quelles étaient les grandes familles de séances d’entraînement (mania, nav, armement, com,…) et quel ratio entre elles ?…
J’étais dans la « DA ». Nous faisions peu de bombardement, tir roquettes ou canon air sol et beaucoup de combat 1v1, 2v1 ou 2v2. A l’occasion nous essayions de monter des grosses missions avec les collègues d’Istres. Les exercices AA n’étaient pas très intéressants pour nous. Heureusement nous avions l’ACMI (Sardaigne puis GB), les TLP puis les Red flags. Nous avions des vols de voltige, ce qui a mon sens était du gaspillage. Quand on sait placer une belle barrique ou gérer l’énergie de son avion, on sait faire une boucle ou un tonneau !!
les séances de réaction aux pannes se font-elles essentiellement en simu ou bien aussi en vol ?
quelle fréquence pour ces entraînements ? lesquelles pannes sont les plus travaillées ?
Nous faisions toutes les pannes au simulateur et aucune en vol à l’exception du très occasionnel ACTC si ma mémoire ne me trahit pas. Je me souviens du secours CARB sur 2000, de l’alpha bec pelles, de la panne CALC, des pannes électriques évidemment et bien sûr l’ACTC. Cela fonctionne sur MF1, beaucoup moins bien sur 2000 ou Rafale !
Avez-vous déjà eu à résoudre de vraies pannes en vol? si oui de quel type, dans quelles circonstances, avec quelles conséquences pour l’équipage, l’avion, la mission ?
Était-ce un type de panne déjà travaillé moultes fois et si oui le déroulé s'est-il passé "comme attendu" ?
Je me souviens d’une panne T4 sur F1, de secours CALC, d’alpha becs pelles, d’une panne badin sur F1, d’une fausse détection incendie sur alpha jet, la rupture moteur de mon équipier, l’abordage entre deux de mes équipiers. Ces deux derniers événements ont amenés à l’interruption de la mission, à des déroutements et même à la perte d’un avion et évidemment de tout son armement. Mais je n’ai jamais eu de tués parmi mes équipiers.
comment vous entrainiez-vous aux manœuvres évasives: d’abord de la mania sans menace pour apprendre la manœuvre, puis du simu, puis en vol ?
D’abord de la théorie puis directement des manœuvres évasives suite à « éclairages » détectés grâce à nos SERVAL. Nous jouions aussi la gestion de nos contre mesures évidemment. C’était beaucoup plus sommaire sur F1, mais les bases étaient les mêmes. Il était très plaisant de voir à l’ACMI si les manœuvres fonctionnaient et beaucoup en tirer profit.
y a-t-il une « habituation » aux Gs ? et/ou une grande variabilité selon le moment (fatigue, tension nerveuse, charge mentale, retour de permissions, etc)
Oui, il y a une accoutumance aux facteurs de charge. Le cœur acquiert un certain tonus, et c’est très facile à 25 ans. C’est beaucoup plus difficile à 50 ans..
La capacité à résister au facteur de charge dépend d’abord de la qualité du sommeil et ensuite de l’individu, je pense. Il vaut mieux être petit et musculeux qu’un grand échalas à physique de pharmacien à ce jeu là !
A l’époque j’avais un cou de taureau et de puissants deltoïdes car j’étais habitué à bouger la tête même sous 7 g !! Je me mesure 1.75 pour 65 kg, donc pas épais. Mais j’étais obligé de porter des chemises du 42 et des pantalons du 38…
Je préférais de loin le 2000, plus confortable sous facteur de charge, qui faisait mal au dos plus bas (lombaires) que le Rafale (entre les omoplates)
Sur quel type d'appareils avez-vous volé ? monoplace ? biplace ?
Sur biplace si tel est le cas, comment est menée la formation pour que l'alchimie pilote/NOSA soit efficace malgré les changements de binome ? y a-t-il un effort pour que les binomes restent le plus longtemps possible inchangés, ou bien au contraire fait-on tourner systématiquement tout le monde avec tout le monde régulièrement ?
Je n’ai fait que du monoplace (MF1, M2000, Rafale, MIII, F15, T38, F18, Viggen, Jaguar, Tornado etc…) même si certains sont biplaces mais pas utilisés en équipage. Je n’ai découvert le travail en équipage qu’arrivé dans l’avion de transport. Et je n’y arrive pas vraiment car je m’y suis mis trop tard, vers 40 ans.
Chaque escadron a-t-il +/- sa "marque" sur les procédures, au sens où entre le texte "scolaire" et l'expérience acquise au fil du temps, il y a souvent des dérives quel que soit le domaine, alors comment s'assurer que tout le monde reste bien dans les mêmes clous ? exercices en commun régulier entre escadrons ? affectations qui tournent régulièrement ?
Chaque escadron a son esprit et fort heureusement ! Les personnes sont différentes, les expériences différentes et de toute façon il y a un brassage par le jeu des affectations. C’est TLP qui a vraiment révolutionné les choses chez nous à Orange. Les conflits et l’entraînement au contact de l’OTAN et des américains (pléonasme) permettent de s’améliorer, un pilote très imaginatif et travailleur peut apporter beaucoup par sa volonté d’organiser des vols plus originaux que le lot quotidien.