La 17ème de Madon
Publié : ven. mars 25, 2016 5:53 pm
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Voici ce que Madon en dit dans ses mémoires :
J'eus l'occasion de connaître aussi mon 17e adversaire. Le 24 octobre 1917, j'attaquais un avion de reconnaissance qui se dirigeait sur Châlons. Je le rejoignais au-dessus de Suippe.
Je ne place près de mon adversaire, en mettant à profit le soleil, selon mon vieux principe : « Voir sans être vu ». Et j'examine à loisir l'observateur en train de prendre force clichés sans plus s'inquiéter que si je n'étais pas là.
Je m'avance encore, je suis sur le Boche et, au moment où j'ai l'impression que je vais le tamponner, j'appuie sur les gâchettes : enrayage ! Sinistre incident. Je me dégage pour réparer. L'autre m'aperçoit alors et vire pour faciliter la riposte de l'observateur. J'évite aisément le tir ennemi et reprends de la hauteur, puis je me mets parallèlement à la marche du biplace à 800 mètres de distance environ. Je le rattrape peu à peu et me mets de telle sorte que je suis masqué par son plan. Le mitrailleur est dans l'impossibilité de me tirer. Le pilote est obligé de faire des virages à 45°. Je me resserre petit à petit et vais être en mesure d'opérer. Me croyant définitivement enrayé, l'observateur boche a repris son travail photographique. Le pilote ne semble pas se soucier non plus de ma présence.
Je gagne de vitesse et distance mon rival, ayant jugé ma position favorable, je vire sec et attaque de face. Je tire cinq cartouches. J'enraye. J'enraye et j'enrage, pourrais-je dire. L'autre pique, quant à moi, je suis furieux. Je reviens en réparant ma mitrailleuse et ne prépare à continuer mes rafales, si mes armes veulent bien me le permettre. Mais mon adversaire continue sa descente en dégageant une épaisse fumée bleue. Je le suis et le vois atterrir dans un très mauvais terrain, à 30 kilomètres à l'intérieur de nos lignes.
Je vais à l'escadrille la plus proche et demande à être conduit en voiture auprès de mes victimes. Je ne rends d'abord auprès de l'avion pour juger des résultats de mon tir. Sur cinq balles, quatre ont porté : deux dans le moteur, une dans l'hélice, une autre près de l'observateur. Je suis assez satisfait de ce carton. Je rejoins ensuite l'équipage indemne, qui se trouve dans un poste de garde d'infanterie. Dès qu'ils me voient entrer, le lieutenant observateur et le vizefeldwebel pilote se mettent au garde à vous.
L'officier me demande en français si je suis le vainqueur :
-« Oui !
-En ce cas, permettez-moi de vous féliciter chaleureusement car jusqu'ici j'avais toujours éloigné facilement tous les avions de chasse. Je ne commençais à m'inquiéter que lorsqu'ils étaient au moins trois contre moi. Quand le chiffre de mes assaillants était inférieur à ce nombre, je ne m'en préoccupais pas le moins du monde et continuais ma route. Puis-je vous demander votre nom ?
-Madon !
-Ah ! Madon ? Je vous connais beaucoup de réputation comme militaire, mais je vous ai connu également en 1913, à Buc, quand vous êtes venu y chercher un Blériot, le jour où Pégoud s'est accroché pour la première fois dans le câble pour navires. »
Enchanté de me retrouver, ne se souvenant pas des circonstances qui nous réunissent, il me tend la main. Je la lui refuse. Il ne se vexe pas.
Le pilote prend alors la parole :
-« Vous avez fait de l'acrobatie avant que j'atterrisse. C'était très joli. Vous avez réussi la boucle. Nous ne pouvons pas l'essayer avec nos avions, ils sont trop lourds. Après la guerre, je compte monter un grand cirque aérien en Allemagne et si vous le voulez bien, je pourrais vous prendre comme chef pilote. »
Je vous laisse à penser quel fut le rire qui salua cette proposition inattendue, à laquelle je me contentai de répondre :
-« Pour le moment, c'est moi qui suis votre barnum pour la prison. »
Et je laissai mes Boches aux mains des fantassins.
En ce moment j'achète moins de magazines, mais celui-là, je ne vais pas le rater!Je vais les[mémoires de Madon] publier dans pas trop longtemps sous forme de Hors-Série d'AVIONS, en les commentant et complétant de manière à en faire la biographie complète (jusqu'à son décès en 1924) du 4e des mousquetaires de la chasse française... Les illustrations seront pour la plupart tirées de ses albums personnels.
Christophe[Cony]