Article Meta Défense, avec le titre : La maintenance du F-35 sera (beaucoup) trop chère en 2036, selon le GAO et l’US Air Force
Chaque année, le Gouvernement Accountability Office, l’équivalent américain de la Cours des Comptes, remet un rapport concernant le programme F-35, et chaque année, depuis 2012, ce rapport alerte sur le mur budgétaire que constituera la maintenance de l’appareil dès lors que celui-ci sera entré massivement en service dans les armées US, et notamment au sein de l’US Air Force, qui prévoit d’en acquérir 1.763 exemplaires. Et le rapport de cette année n’aura pas fait exception, puisque le bureau estime qu’en l’état des projections des couts de maintenance, c’est à dire en prenant en considération les baisses prévues dans l’avenir en application des méthodes d’optimisation des couts déjà mises en oeuvre, la maintenace des F35 américains générera un surcout budgétaire de 6 Md$ en 2036, dont 4,4 Md$ pour la seule US Air Force, lorsque l’appareil aura atteint son pic opérationnel dans les 3 forces armées US qui le mettent le oeuvre, l’USAF avec le F-35A, l’US Navy avec le F-35C et l’US Marine Corps avec le F-35B.
Mais une chose diffère grandement cette année vis-à-vis des années précédentes. En effet, l’US Air Force, qui jusqu’ici soutenait bec et ongles son appareil et ses objectifs, a de toute évidence totalement tourné casaque, non seulement en prêtant foi aux projections du GAO, mais en ajoutant qu’en l’état actuel des choses, le seul moyen dont elle disposerait pour être en mesure de soutenir sa flotte de F-35, serait soit de la réduire en volume en diminuant le nombre d’appareils, soit de la réduire en activité, en diminuant le nombre d’heures de vol annuel de chaque aéronef. Et d’ajouter que, selon elle, il n’existe plus de solutions applicables susceptibles de réduire de manière significative les couts de maintenance du F35 permettant de recoller aux projections de soutenabilité de cette flotte, rejoignant en cela l’opinion exprimée par le Général Kelly, le commandant de la Chasse américaine, d’il y a tout juste une semaine.
Bien évidement, aucune de ces solutions n’est, dans les faits, acceptable pour l’US Air Force, qui doit désormais se préparer à tenir tête aux forces aériennes chinoises en plein essor, ainsi qu’aux forces aériennes russes en plein renouveau. Diminuer le nombre de F35 pour atteindre la soutenabilité globale, soit plus de 700 appareils pour compenser les 4,4 Md$ de déficit à 6,1 m$ par appareil par an, reviendrait en effet à diminuer de 25% le volume de la flotte de chasse américaine, alors que le besoin de déploiement va aller grandissant dans les années à venir, et que la « masse » va redevenir un enjeu de taille face aux deux super-puissances chinoises et russes. Diminuer le nombre d’heures de vol annuel de chaque appareil serait une solution encore plus désastreuse, quoi que puissent en dire les commerciaux de Lockheed-Martin, l’US Air Force sachant pertinemment que son efficacité repose en grande partie sur l’excellence de la formation et de l’entrainement des pilotes, et plusieurs rapports publiés ces dernières années outre-atlantique insistent sur le rôle déterminant que représente l’entrainement des équipages dans ce domaine.
Ce changement de posture de l’US Air Force, qui peut apparaitre brutal, résulte en fait d’une stratégie mise en oeuvre depuis plusieurs années pour, selon tout vraisemblance, sortir de l’engagement des 1.763 appareils, et de remplacer une partie des F-35A par un appareil beaucoup plus adapté aux besoins et aux exigences opérationnelles auxquelles elle prévoit désormais de faire face, notamment dans le Pacifique. En effet, ces dernières années, l’USAF a méticuleusement remis en cause le modèle industriel et technologique du programme F-35, la soutenabilité de ses couts, ses performances sur le théâtre Pacifique, et a même commencé à proposer des alternatives de sortie, soit en développant un nouvel appareil de génération intermédiaire, soit en commandant de nouveaux F-16, soit en étendant le périmètre du programme NGAD, le tout sans jamais affronter frontalement ce programme qui, de toute évidence, ne lui convient plus pour les conflits à venir.
Rappelons-nous en effet que les chefs de l’US Air Force sont des militaires, et qu’en tant que tels, ils ont quelques notions de stratégie. Ils savent ainsi pertinemment que le programme F-35 jouit d’un très important soutien industriel et surtout politique, et qu’il dispose de bras de levier extrêmement puissants, notamment en terme d’emplois, dans les Etats les plus peuplés des Etats-Unis comme la Californie, le Texas ou la Floride, qui sont également les Etats qui disposent du plus grand nombre de Représentants au Congrès. Dès lors, une stratégie de rapport de force n’aurait que très peu de chance d’aboutir, tant les soutiens politiques du programme sont féroces, notamment vers leurs homologues du Congrès qui, eux, portent un jugement plus critique à son encontre. En conséquence, l’USAF a entrepris de couper méthodiquement toutes les branches sur lesquels les soutiens du F35 prenaient assises, en attaquant ses couts, mais aussi ses performances notamment face à la Chine dans l’immensité du Pacifique, en doutant ouvertement des ambitions publiques du programme, et surtout en ouvrant la porte à non pas une, mais plusieurs alternatives, faisant clairement tomber l’appareil du piédestal sur lequel il était posé depuis deux décennies.
On peut d’ailleurs s’attendre, d’ici deux ou trois ans, alors que la pression sera maximum sur le programme, à ce que l’US Air Force présente, dans le cadre du programme NGAD, un démonstrateur développé de manière confidentielle, qui répondrait précisément à l’ensemble de ses besoins pour compléter le chasseur de supériorité aérienne qui remplacera le F22 également développé au sein de ce programme. Il est d’ailleurs assez cocasse, et guère difficile, d’imaginer quelles seront les caractéristiques d’un tel appareil, qui devra être proche de la 5ème génération (une classification qui perd chaque jours davantage de son sens) à savoir être discret et apte à se battre en coopération, qui devra disposer d’un rayon d’action étendu pouvant atteindre des 1.200 nm pour être efficace dans le Pacifique, dont la maintenance et la mise en oeuvre seront simplifiées et économiques (entre 15 et 20 heures de maintenance et 17.000 à 20.000 $ courants par heure de vol), et qui sera apte à remplir un grand nombre de missions grâce à une vitesse maximale proche de Mach 2 et à la super-croisière, une manoeuvrabilité importante à haute comme à basse altitude, et une importante capacité d’emport (au delà de 6 tonnes). Une configuration bi-moteur serait également à privilégier pour le théâtre Pacifique. Nul doute que vous avez une petite idée sur un modèle d’appareil qui répondrait déjà à ce cahier des charges.
Reste qu’au delà de la problématique purement américaine concernant le programme, le F35 a également été choisi par 14 forces aériennes dans le Monde, dont 8 sont européennes, et que l’appareil est sensé constituer l’un des piliers de la défense du vieux continent pour les 40 années à venir. Or, la diminution en volume de la commande de l’US Air Force, qui à ce jour représente 50% du volume total d’appareils à produire, impactera les forces aériennes européennes comme l’US Air Force et l’US Navy. Aujourd’hui, au Pentagone, le chiffre de 1.200 F35A pour l’US Air Force est fréquemment avancé, mais certains envisageraient plutôt 800 à 850 appareils soit une diminution de 50% du parc prévu, et de 25% du volume d’appareils à produire. C’est d’ailleurs cette dernière hypothèse qui doit être retenue si l’on espère économiser une partie significative des 4,4 Md$ de surcouts de l’US Air Force par an en remplaçant un appareil à 33.000 $ l’heure de vol par un appareil à 18.000 $ (en $ 2021) l’heure de vol sur 200 heures de vol annuelles. A noter que pour compenser ces mêmes 4,4 Md$ annuels de surcouts sur la seule hypothèse d’une diminution du nombre d’heures de vol par appareil, il serait nécessaire de réduire de 65 heures de vol chaque année chaque cellule, qui ne volerait alors plus que 120 heures par an, transformant l’USAF en aéroclub de luxe.
Naturellement, de tels écarts bouleverseraient profondément le programme et sa structure de couts, avec une hausse probable des couts d’acquisition, de maintenance et surtout des couts de maintenance évolutive et de R&D, qui croitraient mécaniquement d’au moins 20 à 25% par appareil dans une telle hypothèse. Il est d’ailleurs probable que les clients de Lockheed-Martin fassent bientôt face à ces mêmes problèmes de soutenabilité de l’effort budgétaire pour mettre en oeuvre leur propre parc aérien, et que les avions et pilotes néerlandais, norvégiens, danois ou belges, en viennent eux aussi à limiter le nombre d’heures de vol effectuées pour ne pas assécher le budget défense de leur pays, tout en contribuant à réduire, et ce de manière sensible, l’efficacité des forces aériennes européennes, alors même que la situation géostratégique en devenir exigerait précisément l’inverse. Tout cela met, bien évidemment, un nouveau coup de canif dans la crédibilité des arguments avancés par les autorités suisses et Armasuisse, aussi bien concernant le volet economique qu’opérationnel et de gestion du risque, dans son arbitrage rendu il y a une semaine en faveur de l’avion américain.