Article Meta Défense, avec le titre : Pourquoi l’US Air Force se désolidarise-t-elle du F-35 maintenant ?
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l’US Air Force prend ses distances avec le programme F35. En cause, des prix trop élevés et qui ne seront pas appelés à baisser selon les analyses des services de l’Air Force, des performances aéronautiques et opérationnelles parfois décevantes, une maintenance et une disponibilité trop chaotiques, et une fiabilité contestable, eu égard aux presque 900 problèmes dont souffre toujours l’appareil. Selon le discours des officiels américains, il est désormais indispensable, pour faire face à la montée en puissance chinoise, de remplacer la flotte de F-16 de l’US Air Force par des appareils en reprenant les caractéristiques, à savoir un appareil économique à l’achat comme à l’utilisation, fiable, performant et évitant les excès d’ambitions technologiques, et se situant à la limite entre la quatrième et la cinquième génération. Bref, tout ce que n’est pas le F35A. On notera que l‘extrême furtivité, longtemps présentée comme l’Alpha et l’Omega de la guerre aérienne à venir, et principal atout du F35, n’est plus le moins du monde évoquée.
Il faut dire qu’une telle annonce induit des conséquences majeures concernant le programme F-35. Avec un objectif de commande de plus de 1700 appareils, l’US Air Force était le premier client du programme, et devait acquérir à elle seule prés de la moitié des appareils produits, toutes versions confondues. Les F-35A de l’US Air Force devaient alors remplacer les A-10, une partie des F-15 et les F-16 qu’elle met en oeuvre, ces derniers représentant la plus importante part des appareils à remplacer. En décidant de remplacer ses F-16 par un nouvel appareil, l’US Air Force laisse donc entendre que son implication dans le programme va considérablement diminuer, et donc que l’enveloppe globale du nombre d’appareils en fera de même.
Une grand nombre de pays utilisateur du F16 firent le choix du F35A, avec la promesse que le nouvel appareil de Lockheed-Martin était le digne héritier de joyau de la Fighter Mafia. Or, plus le nombre d’appareils en service sera réduit, plus la ventilation des couts de R&D, que ce soit pour la conception initiale ou pour les évolutions de l’aéronef, sera faible, et donc plus les clients du programme verront leur quote-part augmenter. Cela entrainera immanquablement une augmentation sensible des couts de possession, mais également une diminution du rythme des évolutions, voire de leurs ambitions technologiques et opérationnelles. Ce désengagement pourrait également amener certains clients à réduire leurs objectifs d’achat, comme la Grande-Bretagne qui ne cesse de dire que l’objectif de 138 appareils n’a rien de ferme, et qu’il sera très probablement sensiblement réduit au profit du programme Tempest.
Pour autant, cela fait désormais plus de 6 ans que de nombreux organismes, comme la GAO, l’équivalent de la cours des comptes aux Etats-Unis, et des spécialistes de l’aéronautique militaire alertent au sujet des dérives du programme F-35. Même l’US Air Force avait, à plusieurs reprises, mis en garde contre l’inadéquation entre les couts prévisionnels du programme F35A et les objectifs d’acquisition d’appareils mis en avant par le Pentagone pour l’USAF. En d’autres termes, la situation n’a pas changé ces derniers mois, ni même ces dernières années. Alors, pourquoi faire cette annonce maintenant ?
Le F35 ne parvient pas a résoudre ses problèmes techniques, avec une liste de 900 problèmes qui ne diminue pas au fil des années.
On peut trouver une explication à cette question en observant la liste des clients actuels du programme F-35, de la liste des prospects en cours, et surtout de la liste de ceux qui n’ont pas fait le choix de cet appareil aujourd’hui. Coté clients, nous trouvons la quasi-totalité des utilisateurs européens du premier jour du F-16, à savoir la Belgique, les Pays-Bas, le Danemark, la Norvège, et Israel, ainsi que le Royaume-Uni et l’Italie, qui ne participaient au programme F-16, mais qui tous deux avaient besoin de remplacer les Harrier pour leur aéronautique navale embarquée. La Pologne est le seul client originaire d’Europe de l’Est, mais également, et de loin, celui qui dispose du plus de moyens. En Asie, la Corée du Sud, le Japon, l’Australie et Singapour ont également choisi le F35, dans un mélange de pressions politiques et d’adhésion au besoin en partie liée au retour des porte-aéronefs sur ce théâtre.
En d’autres termes, presque tous les clients pouvant potentiellement acquérir l’appareil de Lockheed-Martin, et disposant de suffisamment de ressources pour cela, ont été transformés, et les nations restantes sont soit en cours de prospection, soit ne disposent pas des moyens pour acquérir un tel appareil, comme le Portugal, les pays d’Europe de l’Est, et même la Grèce, pour qui l’effort serait très important. Les principaux prospects actuels regroupent la Finlande, la Suisse, le Canada et l’Espagne, tous des pays voulant remplacer leurs F/A 18 Hornet. Or, le discours de l’US Air Force vise précisément à présenter le F35 comme un chasseur moyen, à l’instar du F/A 18 Hornet, et non comme un chasseur léger, comme le F-16. Pour certains pays, comme le Canada et l’Espagne, il n’y a presque pas de compétition, soit du fait des pressions politiques (Canada), soit en lien avec le besoin d’un appareil ADAC-V pour remplacer les AV-8 Matador (Espagne), et donc de F35A pour remplacer les F/A 18 pour disposer d’une flotte suffisamment étendue.
Le remplacement des AV-8 Harrier / Matador ne peut être confié qu’au F-35B, seul appareil à décollage et atterrissage vertical moderne disponible.
Pour les EAU, et par capillarité le Qatar, l’Arabie saoudite et une grande partie des monarchies du Golfe, acquérir le F35 permettrait de se doter d’un statut particulier sur la scène internationale, en tant qu’allié proche des Etats-Unis, au même titre que les pays de l’OTAN, ou que le Japon et l’Australie dans le Pacifique. Il suffit dès lors à Washington d’autoriser cette vente pour que les commandes affluent, et c’est probablement ce qui sera fait, en grande partie pour tenter de rassurer les clients actuels du F35 sur la pérennité et l’évolutivité du programme. A terme, l’appareil pourra être proposé à certaines autres nations, contre une promesse d’allégeance renforcée, notamment sur le Théâtre Indo-Pacifique.
En dehors de ces pays, le marché export du F35A est désormais clos, et ce d’autant que la Chine va arriver prochainement avec le J-35, la Russie avec le Su-57, et que le Rafale F4 aura sans nul doute de nombreux arguments à faire valoir contre l’avion américain. En revanche, pour tous les autres pays alliés des Etats-Unis, jusqu’ici clients de l’industrie aéronautique US avec le F16, l’absence d’alternative au F35, trop cher et trop complexe, pouvait devenir une menace, même avec le F16 Viper, certes performant et bien vendu, mais qui marque le poids des années. En outre, nombre de clients du F35A, notamment en Europe, s’aperçoivent aujourd’hui que la réduction de format de leurs forces aériennes pour satisfaire au prix de l’avion de Lockheed, impose des contraintes opérationnelles très élevées.
le succès du F16 Viper ces dernières années notamment en Europe de l’Est a probablement été un des paramètres ayant amené les décideurs américains de l’USAF à envisager le développement d’un nouvel appareil.
Il est donc aujourd’hui très opportun pour l’US Air Force, et surtout pour l’industrie aéronautique US, de changer leur fusil d’épaule, et de mettre l’accent sur un nouvel appareil, plus accessible, probablement aussi performant que le F35A, et qui sera, sans le moindre doute, conçu pour parfaitement interagir avec ce dernier, de sorte à pouvoir le proposer non seulement à l’ensemble des pays n’ayant pas pu acquérir l’avion de Lockheed-Martin, mais également à ceux qui l’ont commandé et qui se retrouvent aujourd’hui avec une flotte réduite aux couts prohibitifs. Quand aux quelques prospects en cours, le choix du F35A comme alternative au F/A 18 reste justifié, sur le papier tout du moins. Notons enfin qu’en procédant ainsi, l’industrie US aura su capter l’immense majorité des processus industriels liés au programme F35, bien au delà de son poids relatif en volume d’appareils.
Cette stratégie en deux temps peut paraitre excessivement machiavélique, trop pour qu’il en soit ainsi. Pourtant, c’est précisément celle qui fut employée à la fin des années 50 et au début des années 70 au sujet du programme F-104 Starfighter, un appareil dont la carrière opérationnelle au sein de l’US Air Force n’aura duré que 10 ans
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Comme le F35, le F104 rencontra de très nombreux problèmes de mise au point et de fiabilité, amenant l’USAF à annuler sa commande et à retirer l’appareil du service après seulement 10 ans.
De toute évidence, la stratégie appliquée aujourd’hui Outre-Atlantique est la même. A ce titre, l’US Air Force ne s’est toujours pas prononcée sur l’amplitude de la réduction de son engagement d’acquisition de F35. En outre, l’US Navy, que l’on sait très circonspecte au sujet du F-35C, est remarquablement peu loquace à ce sujet, alors que l’on pouvait s’attendre à la voire emboiter le pas à l’USAF. Rappelons que l’US Marines Corps à lui aussi annoncé la probable réduction de son engagement de commande au sujet des F-35B. Il est probable que les valeurs chiffrées ne seront communiquées qu’à l’issue des compétitions en cours en Suisse, Finlande et Canada, afin de ne pas provoquer de phénomène de rejet immédiat. Une chose est certaine, ceux qui, malgré ces signes, continueront à faire confiance à ce programme, ne pourront s’en prendre qu’à eux-même, ou tout au moins à leurs représentants élus.
Bon, dans cet article il y a pas mal d'enfonçages de portes ouvertes et d'autres aspects moins convaincants (en tout cas de mon point de vue), mais la bestiole montre sa résilience depuis deux décennies. Perso, je ne vendrai pas la peau du F-35 avant qu'il soit "tué" (c'est à dire que ses ventes soient concrètement diminuées aux USA, que ses ventes export s'assèchent réellement et que les acheteurs export expriment publiquement une opinion négative sur son utilisation, avec des demandes de compte [même si uniquement verbal] aux décideurs ayant effectué ces choix dans le passé). Par ailleurs, sa furtivité pourra être encore longtemps un atout sur le champ de bataille (du moins tant qu'il n'y aura pas de système fiable de détection des avions furtifs) et, en ce sens, comme dit depuis longtemps, Israël sera certainement le meilleur repère.
Maintenant, si on ne considère que les questions de coût et de fiabilité, il suffit de remonter ce topic pour voir que même quelqu'un ne connaissant pas grand chose à ces questions était capable de voir depuis longtemps que la bestiole était un problème (ne serait-ce qu'en lisant les sources officielles US elles-mêmes...). Et, en ce sens, je ne peux qu'être d'accord avec le passage surligné en rouge, que je ne fais que répéter dans ce topic depuis près de 15 ans... J'avais souvent écrit vouloir être plus vieux de quelques décennies pour voir le résultat de tout ça. Peut-être (et j'insiste plus que lourdement sur le "peut-être") que le résultat en question se rapproche...