Article Méta Défense, avec le titre : Les couts et les délais du programme F-35 continuent de glisser dangereusement outre-atlantique
Depuis maintenant une dizaine d’années, chaque année, le US Gouvernement Accountability Office, ou GAO, l’équivalent américain de la Cour des Comptes, dresse un rapport inquiet quant aux dérives budgétaires entourants le programme Joint Strike Fighter et l’avion de combat F-35. Ainsi, à de nombreuses reprises, les experts du GAO ont pointé des dysfonctionnements très nets concernant ce programme, qui de toute évidence bénéficie de passe-droits et d’importants soutiens pour contourner les règles de pilotage budgétaire établis par le Congrès Américain. Cette année, le nouveau rapport n’a pas dérogé à la règle, pointant notamment une nouvelle augmentation du programme visant à amener le chasseur de Lockheed-Martin au standard Block 4, le premier standard devant atteindre la pleine capacité opérationnelle dans les années à venir.
En effet, selon le rapport du GAO, le programme pour concevoir et déployer ce nouveau standard, a une nouvelle fois connu, au cours de l’année, une hausse de 1,4 Md$, pour atteindre 16,5 Md$, soit plus de deux fois le montant investi par Berlin, Madrid et Paris pour étudier et concevoir le démonstrateur du programme SCAF. La hausse cumulée, vis-à-vis des premières estimations entourant ce standard de 2018, atteint désormais 55%, en étant passée de 10,6 à 16,5 Md$ en 5 ans, ce qui, en temps normal, aurait du déclencher une procédure de régulation Nunn-McCurdy et amener le Secrétaire à la Défense devant le Congrès pour éviter la fin du programme.
Les dépassements de budgets et/ou de calendrier excessifs de programmes d’Etat doivent normalement déclencher une mesure conservatoire au Congrès américain, mais l’architecture donnée au programme F-35 permet d’éviter cette menace en dépit de dépassements très excessifs et répétés dans les deux domaines.
De fait, et comme c’est le cas de tous les éléments du programme F-35 depuis des années, ces programmes sont considérés comme des sous-ensembles du programme principal, de sorte à ramener les hausses qui désormais dépassent les 183 Md$ alors que les délais ont, quant à eux, glissés de 10 ans, de manière itératives et non cumulées vis-à-vis du programme dans son ensemble et ses 500 Md$ déjà investis. Cette forme permit de réduire la dérive budgétaire perçue, et ainsi éviter la régulation du Congrès. A noter que ces coûts sont par la suite répercutés sur les utilisateurs, c’est à dire les armées US mais également les opérateurs étrangers de l’appareil.
Or, ces hausses répétées représentent désormais l’équivalent des acquisitions d’équipements pour armer 2 groupes aéronavals complets et 2 divisions blindées supplémentaires, alors que, comme nous l’avons vu, le programme F35 présente encore de nombreuses faiblesses, que ce soit en terme de disponibilité et de fiabilité. Les surcouts à venir, quant à eux, pourraient faire encore largement croitre la note pour le Pentagone mais également ses clients étrangers, notamment lorsqu’il s’agira de moderniser d’ici la fin de la décennie, le turboréacteur F135 pour des appareils qui, pour la plupart, auront moins de 10 ans
De fait, dans ces recommandations, le GAO propose explicitement de cesser de considérer les sous-programmes du F35, et notamment celui concernant la mise à niveau du turboréacteur F135, comme des programmes à part entière, qui seraient de fait soumis aux mêmes critères de surveillance que les autres, afin d’éviter de nouvelles dérives qui seraient « absorbées » par le volume du programme lui-même. Par ailleurs, 7 recommandations spécifiques dérivants de ce même principe, ont été émises et ventilées vers le Département de la Défense, et plus particulièrement vers le sous-secrétaire à la défense en charge des acquisitions.
C’est aujourd’hui bien davantage le poids politique et industriel du programme F35 que ses plus-values opérationnelles qui explique le faible niveau de régulation budgétaire entourant ce programme.
Reste que, jusqu’à présent, les nombreuses recommandations présentées par le GAO ces dernières années concernant ce programme, ont rarement été suivies d’effets tant de la part du Congrès, qui dispose encore d’une majorité de représentants et de sénateurs soutenant le programme, qu’auprès du Département de la Défense, lui aussi acquis fait et cause au programme de Lockheed-Martin, à l’exception près de l’épisode Will Roper il y a quelques années. Il est donc peu probable que les recommandations faites cette année soient suivies d’effets.
Au regard des sommes déjà investies, et du poids politique qu’a pris le programme F-35 sur la scène internationale, celui-ci est désormais « Too Big to Fail », selon la formule consacrée anglophone. Pour autant, il semble bien qu’il soit désormais un handicap des plus sévères sur la reconstruction et la modernisation des armées US face à une Chine qui, de son coté, n’est pas entravée par de telles considérations, et qui concentre ses ressources sur les programmes offrants le meilleur rapport performances-investissements.