Publié : sam. mars 20, 2004 9:43 pm
15 Avril 1945.
10h47.
La fin est proche. Tous les jours depuis des mois de plus en plus d’appareils alliés survolent et attaquent le Reich. Le front de l’Est est enfoncé par les bolcheviques, l’Afrique du Nord est perdue. Oui, la fin est proche. Il suffit pour cela de regarder mon Gruppe. Sur les 36 avions que nous devrions avoir, seuls sont présent 5, dont 2 sans moteurs et 2 en réparations après un mitraillage de notre base par des « Mustangs ». Les Messerschmitt qui partageaient le terrain avec nous viennent de déménager, la zone devient trop à risque. Pourtant, nous devons rester. Il nous faut défendre le Reich. Avec un appareil, contre des centaines voire des milliers. Les systèmes de renseignements sont par ailleurs dans un sale état, les informations nous parvenant généralement en retard, trop tard pour que l’on puisse faire quoi que ce soit. Cela fait 2 jours qu’aucun avion n’a pris l’air sur cet aérodrome. Tant mieux, les Américains doivent le croire hors d’usage, la Flak ayant reçu l’ordre de ne tirer qu’en cas d’attaque directe de la base. Deux jours de repos pour les mécaniciens et les 6 équipages que nous sommes.
Nous sommes tous au bar de l’équipage, en alerte à 5 minutes. Je suis de garde. Si un appareil doit partir aujourd’hui, ça sera moi.
Tiens, l’officier des renseignements accourt.
« Ugo ! Alarm ! Des bombardiers en approche ! »
Des bombardiers. Qu’est ce que je peux faire contre ça ?
« Ils sont deux, séparés d’un box décimé par des Focke-Wulf. Ils semblent perdus, et sont non escortés. » me précise-t-il. « L’ordre est d’aller les attaquer. Ils ne doivent pas rentrer à leur base. »
« Bien. »
« Briefing dans trois minutes avec ton radio. »
« Bien. »
Et il repart, toujours en courant. Je me lève et vais chercher Otto.
« Allez viens, on a du boulot, briefing dans deux minutes. »
« J’arrive. »
Avec deux minutes de retard, on arrive dans la salle de briefing. Seul le Commandant de l’escadrille est présent avec l’officier des renseignements. Que la salle semble vide. Tous ces sièges autrefois remplis, cette salle qu’il était si difficile d’amener au silence, quel drame. Le Commandant ne fait pas de remarque sur notre retard. Il attend que nous soyons assis pour prendre la parole.
« Messieurs, le commandement nous a donné l’ordre d’aller attaquer une paire de bombardiers américains qui se trouve dans notre secteur. L’Etat Major est persuadé qu’il nous reste une dizaine d’avions opérationnels. Les temps sont durs, votre mission le sera. En tant que Commandant, je ne peux m’opposer aux ordres de mes supérieurs, mais en tant qu’homme je vous demanderais de revenir vivants. Les héros morts ne servent à rien, il nous faut des pilotes vivants. »
« Oui, Monsieur. »
« Je vous laisse maintenant avec les renseignements. »
« Comme le disait notre Commandant, une paire de Bombardiers B17 ont été repérés à quelques kilomètres d’ici, en basse altitude. Leur box a été décimé. Les observateurs au sol confirment qu’aucun appareil de soutien n’a été vu auprès des bombardiers. Votre mission sera de les abattre ou de les endommager gravement. »
« Rien que ça. Avec un seul appareil. » ajouta Otto.
« Nous avons reçu des munitions, vous partirez avec des chargeurs pleins. »
C’est vrai que les dernières missions ont été dramatiques pour cause de manque de munitions. Plusieurs de nos appareils partaient les casiers à moitié vides et se retrouvaient désemparés devant une horde d’américains lancés à leurs trousses. Mais est-ce que cela va assurer notre survie, j’en doute.
« Voici les coordonnées actuelles des bombardiers. Voici votre cap. Ainsi que les fréquences radio des observateurs. Vous serez les seuls dans le coin, donc n’hésitez pas à demander des informations. »
Toutes les informations en main, nous repartons aussitôt vers notre appareil, un Bf-110G2 armé d’un pod ventral contenant deux canons de 20mm supplémentaires. Notre puissance de feu est considérable. C’est un bon atout.
Wolfgang est là, notre dévoué mécano. On l’informe de la mission. C’est du suicide pense t il. Je suis de son avis, mais je ne lui dis pas, il refuserait de me laisser partir. Otto est en place. Wolfgang m’aide à monter et à m’harnacher dans le cockpit. La procédure est engagée. Les moteurs sont prêts. Avec les mêmes gestes répétés des dizaines de fois, je lance les démarreurs et les moteurs toussotent. Je referme le cockpit. La mission commence. Wolfgang me guide pour m’amener au seuil de la piste, il saute de l’aile et reste là. Je lui souris, et d’un geste je lui fais signe de m’attendre. Je reviendrais. Quant à Otto, il est en relation avec la Tour. Tout est en ordre.
Fusée verte. Je pousse les manettes. Les moteurs s’emballent, l’avion commence à prendre de la vitesse. En quelques secondes, nous sommes en l’air. Je rentre les trains et les volets. Notre route nous oblige à repasser au dessus de l’aérodrome. Un large virage à droite à basse altitude pour saluer ceux qui sont venus nous voir partir. Ils sont nombreux. Je ne sais pas s’ils nous envient vraiment. En passant au dessus de la piste, je bats légèrement des ailes. Au revoir ou adieu.
Nous avons dix minutes de vol devant nous. Je vérifie les paramètres moteurs. J’enlève la sécurité des gâchettes, et fait un test, pas question de s’apercevoir que les canons sont enrayés devant les américains. Otto fait de même avec ses deux mitrailleuses. Il ne devrait pas avoir à s’en servir. Il l’espère autant que moi.
« Otto, si des chasseurs arrivent … »
« Tu plonges et on rentre ! »
« Tu hésites pas à t’éjecter. Tu m’entends ? »
« Pas sans toi. Mais on n’aura pas à le faire, n’est-ce pas ? »
Je n’ose lui répondre. Je ne connais pas la réponse. Il ne répond pas lui-même. Les minutes semblent longues maintenant. Je partais avec une certaine certitude, la voilà partie.
« Otto, demande la position des bombardiers. »
« D’accord. »
Nous avons le bon cap, la bonne vitesse, la bonne altitude. Nous devrions être proches.
« Ils sont à deux minutes dans nos 1 heure. »
« Parfait. »
Dommage que les mesures d’altitude soient si défectueux. Je monte quand même à 2.500mètres, on ne sait jamais. Ils ont été estimés à 1.000mètres.
Ils sont là. Un peu plus haut que prévu. J’averti Otto de se mettre en position de combat. Je vais faire une première passe frontale. Avec de la chance, je vais pouvoir en endommager un. Ils se présentent de trois quart avant. Un bon profil. Si mes obus sont bien dirigés, ils peuvent toucher le poste de pilotage ou les mitrailleurs ventraux. Il va s’agir de l’appliquer particulièrement. Nous serions l’effectif complet de 12 équipages, de telles cibles sont du tir au pigeon. Mais ici, qui est le pigeon et qui est le chasseur ?
Ils commencent à prendre de l’altitude, ils nous ont vu. Ils gardent leur cap. La silhouette se grossit dans le viseur. Quelques secondes. Je peux voir les mitrailleuses tentent de s’orienter vers moi, mais je suis dans un angle mort. Je vois quelques traçantes partir des forteresses, mais elles sont bien trop loin pour que je m’en soucie.
Je lâche une longue rafale. Les traçantes encadrent le fuselage, plusieurs impacts sont visibles. Mais c’est bien insuffisant. Je passe en trombe derrière les bombardiers. Les mitrailleurs arrières n’ont pas le temps de m’aligner dans le viseur. Aucun ne tentera de m’avoir. Otto me signale que le bombardier resserre la position avec son leader. Aucune fuite ni avarie ne semble apparaître.
Une deuxième passe. Je commence un large virage à droite pour ne perdre ni vitesse ni altitude. Inutile d’essayer de prendre de l’altitude, sinon je me ferais distancer. Oui, cet appareil manque de puissance moteur, seul défaut majeur. Cette fois, je fixe le leader dans mon viseur. Une longue passe dans ces arrières. D’abord viser le compartiment du mitrailleur arrière puis abattre un moteur. Le mitrailleur haut ne me verra pas, et je ne passerais dans le champs de tir du mitrailleur bas qu’une fraction de seconde. Seul le deuxième bombardier aura des angles sur moi. Otto ne dit plus rien, il me laisse faire. J’aime son silence qui signifie qu’il n’y a aucun chasseur.
Puissance maximale, je rattrape sur la paire. A portée maximale, j’ouvre le feu. Aucun impact. En se rapprochant, le mitrailleur américain ouvre le feu. Ses tirs sont imprécis. Je suis assis dans un cockpit blindé, il ne peut rien m’arriver. J’essaye de m’en convaincre alors que j’écrase de nouveau les gâchettes. J’entoure le bombardier de mes traçantes, les impacts sont visibles. Des pans s’échappent de la forteresse, de la fumée sort d’un moteur du bombardier, elle commence à saigner. Quelques traçantes viennent de son compagnon. Mais qu’est ce que …… ?
Le moteur droit vient de se couper !! Je n’ai pas le temps de m’occuper de ça ! Je corrige du palonnier pour rester dans l’axe.
« Ugo ! Moteur droit bloqué ! »
Je ne lui réponds pas. Je continue de tirer, finir la passe et dégager, vite. Je ne sais pas si ça suffira, mais il faut rentrer.
« Ugo ! Tu l’as eu ! Tu l’as eu ! »
Otto a vu la fumée. Nous sommes dans le sillage du bombardier, de l’huile couvre mon pare-brise, j’ai du mal à voir. Je pousse le manche, on va passer sous le bombardier légèrement à sa gauche. Tiens, son moteur s’est enflammé. Je l’ai eu. Il ne rentrera pas chez lui. Mais …. Il vide ses bombes ! Qu’est-ce que ….Le bombardier sursaute en larguant son chargement. En un instant, deux bombes de 1000kilos sont éjectées de l’appareil. L’américain se cabre, je ne sais pas ce que fait le pilote mais … Une bombe ! Je fonce droit sur elle ! C’est impossible ! Manche tout à gauche ! Il y en a deux !!
« Regarde Ugo ! Il flambe ! Il est hors de contrôle ! Tu l’as eu ! »
Non ! Les bombes vont se fracasser sur mon hélice ! Ma seule hélice viable ! Et si elles explosent ? Impuissant, je regarde faire…
Pourvu que …………
15 Avril 1945
Extrait du Journal de bord du Navigateur John Patterson, pilote du « Itching Daisy » (B-17G)
Alors que nous rentrions d’un raid avorté sur l’usine de roulements à billes de Walfensthein, nos navigateurs s’étaient trompés de route, nous sommes tombés sur une horde d’Allemands qui ont mis en pièces notre box. Seuls rescapés de notre box, le « Itching Daisy » et le « Tumbling Thunder », notre leader, rentraient vers la base. A 11h05, alors que nous n’avions rencontré aucune Flak depuis notre première attaque, ni aucun appareil allemand depuis plusieurs dizaines minutes, notre navigateur repéra un chasseur dans nos 1heures.
Un bimoteur. Seul. Un Messerschmitt Bf-110. Etait-il fou ou non, mais il arrivait pour une attaque frontale. Nous avons mis en batterie notre armement et l’attendions de pied ferme. Il tira de très loin. Ses traçantes n’eurent pour effet que d’accroître notre stress, mais il n’y eu aucun impact.
Nous n’avons pas réussi à le toucher non plus. Au mieux avait-on espéré le faire fuir. Mais il revint pour une deuxième passe. Dans les six du leader cette fois, apparemment. Nous avons immédiatement resserré la formation pour mieux concentrer notre puissance de feu. Il tira une première rafale, tuant le mitrailleur de queue, Mike Brodery. Se rapprochant, il tira de nouveau, et les mitrailleurs Jack Hansley et Robert Jinghins du « Tumbling Thunder » ripostèrent. Le leader était sous le feu ennemi, des dizaines d’impacts étaient visibles, des plaques commencèrent à se détacher. Malgré nos efforts, nous ne parvenions pas à lui faire cesser le combat, quand son moteur droit se mit en panne. Mais il continue son attaque. Le moteur No2 du « Thunder » crache noir. Il se met à brûler ! Il faut qu’il largue ses bombes ! Alors que Wes Frienly, navigateur-bombardier du « Thunder », commence la séquence, l’allemand glisse sous le ventre du B-17. Je regarde, impuissant ce spectacle. Mais … L’allemand fonce droit sur une bombe ! C’est impossible !!
Une énorme explosion secoue le « Itching Daisy », l’Allemand vient d’exploser ! Immédiatement après, c’est le « Tumbling Thunder » qui explose à son tour ! J’ai peine à tenir mon appareil. Le ciel si calme il y a quelques instants est subitement devenu un nuage de tôles. Faisant tout mon possible, j’essaye de virer à droite pour éviter les débris, mais irrémédiablement, le « Itching Daisy » penche à gauche. On va passer au travers des débris. Ordre à tout l’équipage de se préparer à sauter et d’être prêt pour la zone de turbulence. Avec Steve Gossfield, mon copilote, nous nous cramponnons sur les commandes. Le « Daisy » est sauvagement secoué de toutes parts, le pare-brise se couvre d’huile, des bruits d’impacts résonnent dans le cockpit, et dans toute la carlingue. J’essaie de la maintenir en l’air. Les efforts au manches sont extrêmement violents, j’ai peine à la tenir, Steve sue à grosses gouttes également. C’est ainsi que je passe au milieu des débris de l’explosion, fragments de Messerschmitt et de Boeing entremêlés, fumants ou brûlants. Par chance, nous n’en touchons aucun.
Je rétabli l’avion. Je n’arrive pas à croire ce que je viens de voir. Mon copilote est sous le choc également. A la radio, c’est le silence complet, ceux qui ont vu n’osent y croire, ceux qui n’ont pas vu se taisent par respect aux morts. C’est Clark Walls, notre mitrailleur ventral qui a eu la vision de la chute des carcasses. Aucun parachute.
Plutôt que suivre la procédure et garder mes bombes et chercher une cible d’opportunité, j’ai largué mon chargement et pris un cap direct vers la base.
Le reste du vol se déroula sans encombre, dans un silence absolu, excepté les communications d’identification et de procédures.
C’était notre 25ème mission.
10h47.
La fin est proche. Tous les jours depuis des mois de plus en plus d’appareils alliés survolent et attaquent le Reich. Le front de l’Est est enfoncé par les bolcheviques, l’Afrique du Nord est perdue. Oui, la fin est proche. Il suffit pour cela de regarder mon Gruppe. Sur les 36 avions que nous devrions avoir, seuls sont présent 5, dont 2 sans moteurs et 2 en réparations après un mitraillage de notre base par des « Mustangs ». Les Messerschmitt qui partageaient le terrain avec nous viennent de déménager, la zone devient trop à risque. Pourtant, nous devons rester. Il nous faut défendre le Reich. Avec un appareil, contre des centaines voire des milliers. Les systèmes de renseignements sont par ailleurs dans un sale état, les informations nous parvenant généralement en retard, trop tard pour que l’on puisse faire quoi que ce soit. Cela fait 2 jours qu’aucun avion n’a pris l’air sur cet aérodrome. Tant mieux, les Américains doivent le croire hors d’usage, la Flak ayant reçu l’ordre de ne tirer qu’en cas d’attaque directe de la base. Deux jours de repos pour les mécaniciens et les 6 équipages que nous sommes.
Nous sommes tous au bar de l’équipage, en alerte à 5 minutes. Je suis de garde. Si un appareil doit partir aujourd’hui, ça sera moi.
Tiens, l’officier des renseignements accourt.
« Ugo ! Alarm ! Des bombardiers en approche ! »
Des bombardiers. Qu’est ce que je peux faire contre ça ?
« Ils sont deux, séparés d’un box décimé par des Focke-Wulf. Ils semblent perdus, et sont non escortés. » me précise-t-il. « L’ordre est d’aller les attaquer. Ils ne doivent pas rentrer à leur base. »
« Bien. »
« Briefing dans trois minutes avec ton radio. »
« Bien. »
Et il repart, toujours en courant. Je me lève et vais chercher Otto.
« Allez viens, on a du boulot, briefing dans deux minutes. »
« J’arrive. »
Avec deux minutes de retard, on arrive dans la salle de briefing. Seul le Commandant de l’escadrille est présent avec l’officier des renseignements. Que la salle semble vide. Tous ces sièges autrefois remplis, cette salle qu’il était si difficile d’amener au silence, quel drame. Le Commandant ne fait pas de remarque sur notre retard. Il attend que nous soyons assis pour prendre la parole.
« Messieurs, le commandement nous a donné l’ordre d’aller attaquer une paire de bombardiers américains qui se trouve dans notre secteur. L’Etat Major est persuadé qu’il nous reste une dizaine d’avions opérationnels. Les temps sont durs, votre mission le sera. En tant que Commandant, je ne peux m’opposer aux ordres de mes supérieurs, mais en tant qu’homme je vous demanderais de revenir vivants. Les héros morts ne servent à rien, il nous faut des pilotes vivants. »
« Oui, Monsieur. »
« Je vous laisse maintenant avec les renseignements. »
« Comme le disait notre Commandant, une paire de Bombardiers B17 ont été repérés à quelques kilomètres d’ici, en basse altitude. Leur box a été décimé. Les observateurs au sol confirment qu’aucun appareil de soutien n’a été vu auprès des bombardiers. Votre mission sera de les abattre ou de les endommager gravement. »
« Rien que ça. Avec un seul appareil. » ajouta Otto.
« Nous avons reçu des munitions, vous partirez avec des chargeurs pleins. »
C’est vrai que les dernières missions ont été dramatiques pour cause de manque de munitions. Plusieurs de nos appareils partaient les casiers à moitié vides et se retrouvaient désemparés devant une horde d’américains lancés à leurs trousses. Mais est-ce que cela va assurer notre survie, j’en doute.
« Voici les coordonnées actuelles des bombardiers. Voici votre cap. Ainsi que les fréquences radio des observateurs. Vous serez les seuls dans le coin, donc n’hésitez pas à demander des informations. »
Toutes les informations en main, nous repartons aussitôt vers notre appareil, un Bf-110G2 armé d’un pod ventral contenant deux canons de 20mm supplémentaires. Notre puissance de feu est considérable. C’est un bon atout.
Wolfgang est là, notre dévoué mécano. On l’informe de la mission. C’est du suicide pense t il. Je suis de son avis, mais je ne lui dis pas, il refuserait de me laisser partir. Otto est en place. Wolfgang m’aide à monter et à m’harnacher dans le cockpit. La procédure est engagée. Les moteurs sont prêts. Avec les mêmes gestes répétés des dizaines de fois, je lance les démarreurs et les moteurs toussotent. Je referme le cockpit. La mission commence. Wolfgang me guide pour m’amener au seuil de la piste, il saute de l’aile et reste là. Je lui souris, et d’un geste je lui fais signe de m’attendre. Je reviendrais. Quant à Otto, il est en relation avec la Tour. Tout est en ordre.
Fusée verte. Je pousse les manettes. Les moteurs s’emballent, l’avion commence à prendre de la vitesse. En quelques secondes, nous sommes en l’air. Je rentre les trains et les volets. Notre route nous oblige à repasser au dessus de l’aérodrome. Un large virage à droite à basse altitude pour saluer ceux qui sont venus nous voir partir. Ils sont nombreux. Je ne sais pas s’ils nous envient vraiment. En passant au dessus de la piste, je bats légèrement des ailes. Au revoir ou adieu.
Nous avons dix minutes de vol devant nous. Je vérifie les paramètres moteurs. J’enlève la sécurité des gâchettes, et fait un test, pas question de s’apercevoir que les canons sont enrayés devant les américains. Otto fait de même avec ses deux mitrailleuses. Il ne devrait pas avoir à s’en servir. Il l’espère autant que moi.
« Otto, si des chasseurs arrivent … »
« Tu plonges et on rentre ! »
« Tu hésites pas à t’éjecter. Tu m’entends ? »
« Pas sans toi. Mais on n’aura pas à le faire, n’est-ce pas ? »
Je n’ose lui répondre. Je ne connais pas la réponse. Il ne répond pas lui-même. Les minutes semblent longues maintenant. Je partais avec une certaine certitude, la voilà partie.
« Otto, demande la position des bombardiers. »
« D’accord. »
Nous avons le bon cap, la bonne vitesse, la bonne altitude. Nous devrions être proches.
« Ils sont à deux minutes dans nos 1 heure. »
« Parfait. »
Dommage que les mesures d’altitude soient si défectueux. Je monte quand même à 2.500mètres, on ne sait jamais. Ils ont été estimés à 1.000mètres.
Ils sont là. Un peu plus haut que prévu. J’averti Otto de se mettre en position de combat. Je vais faire une première passe frontale. Avec de la chance, je vais pouvoir en endommager un. Ils se présentent de trois quart avant. Un bon profil. Si mes obus sont bien dirigés, ils peuvent toucher le poste de pilotage ou les mitrailleurs ventraux. Il va s’agir de l’appliquer particulièrement. Nous serions l’effectif complet de 12 équipages, de telles cibles sont du tir au pigeon. Mais ici, qui est le pigeon et qui est le chasseur ?
Ils commencent à prendre de l’altitude, ils nous ont vu. Ils gardent leur cap. La silhouette se grossit dans le viseur. Quelques secondes. Je peux voir les mitrailleuses tentent de s’orienter vers moi, mais je suis dans un angle mort. Je vois quelques traçantes partir des forteresses, mais elles sont bien trop loin pour que je m’en soucie.
Je lâche une longue rafale. Les traçantes encadrent le fuselage, plusieurs impacts sont visibles. Mais c’est bien insuffisant. Je passe en trombe derrière les bombardiers. Les mitrailleurs arrières n’ont pas le temps de m’aligner dans le viseur. Aucun ne tentera de m’avoir. Otto me signale que le bombardier resserre la position avec son leader. Aucune fuite ni avarie ne semble apparaître.
Une deuxième passe. Je commence un large virage à droite pour ne perdre ni vitesse ni altitude. Inutile d’essayer de prendre de l’altitude, sinon je me ferais distancer. Oui, cet appareil manque de puissance moteur, seul défaut majeur. Cette fois, je fixe le leader dans mon viseur. Une longue passe dans ces arrières. D’abord viser le compartiment du mitrailleur arrière puis abattre un moteur. Le mitrailleur haut ne me verra pas, et je ne passerais dans le champs de tir du mitrailleur bas qu’une fraction de seconde. Seul le deuxième bombardier aura des angles sur moi. Otto ne dit plus rien, il me laisse faire. J’aime son silence qui signifie qu’il n’y a aucun chasseur.
Puissance maximale, je rattrape sur la paire. A portée maximale, j’ouvre le feu. Aucun impact. En se rapprochant, le mitrailleur américain ouvre le feu. Ses tirs sont imprécis. Je suis assis dans un cockpit blindé, il ne peut rien m’arriver. J’essaye de m’en convaincre alors que j’écrase de nouveau les gâchettes. J’entoure le bombardier de mes traçantes, les impacts sont visibles. Des pans s’échappent de la forteresse, de la fumée sort d’un moteur du bombardier, elle commence à saigner. Quelques traçantes viennent de son compagnon. Mais qu’est ce que …… ?
Le moteur droit vient de se couper !! Je n’ai pas le temps de m’occuper de ça ! Je corrige du palonnier pour rester dans l’axe.
« Ugo ! Moteur droit bloqué ! »
Je ne lui réponds pas. Je continue de tirer, finir la passe et dégager, vite. Je ne sais pas si ça suffira, mais il faut rentrer.
« Ugo ! Tu l’as eu ! Tu l’as eu ! »
Otto a vu la fumée. Nous sommes dans le sillage du bombardier, de l’huile couvre mon pare-brise, j’ai du mal à voir. Je pousse le manche, on va passer sous le bombardier légèrement à sa gauche. Tiens, son moteur s’est enflammé. Je l’ai eu. Il ne rentrera pas chez lui. Mais …. Il vide ses bombes ! Qu’est-ce que ….Le bombardier sursaute en larguant son chargement. En un instant, deux bombes de 1000kilos sont éjectées de l’appareil. L’américain se cabre, je ne sais pas ce que fait le pilote mais … Une bombe ! Je fonce droit sur elle ! C’est impossible ! Manche tout à gauche ! Il y en a deux !!
« Regarde Ugo ! Il flambe ! Il est hors de contrôle ! Tu l’as eu ! »
Non ! Les bombes vont se fracasser sur mon hélice ! Ma seule hélice viable ! Et si elles explosent ? Impuissant, je regarde faire…
Pourvu que …………
15 Avril 1945
Extrait du Journal de bord du Navigateur John Patterson, pilote du « Itching Daisy » (B-17G)
Alors que nous rentrions d’un raid avorté sur l’usine de roulements à billes de Walfensthein, nos navigateurs s’étaient trompés de route, nous sommes tombés sur une horde d’Allemands qui ont mis en pièces notre box. Seuls rescapés de notre box, le « Itching Daisy » et le « Tumbling Thunder », notre leader, rentraient vers la base. A 11h05, alors que nous n’avions rencontré aucune Flak depuis notre première attaque, ni aucun appareil allemand depuis plusieurs dizaines minutes, notre navigateur repéra un chasseur dans nos 1heures.
Un bimoteur. Seul. Un Messerschmitt Bf-110. Etait-il fou ou non, mais il arrivait pour une attaque frontale. Nous avons mis en batterie notre armement et l’attendions de pied ferme. Il tira de très loin. Ses traçantes n’eurent pour effet que d’accroître notre stress, mais il n’y eu aucun impact.
Nous n’avons pas réussi à le toucher non plus. Au mieux avait-on espéré le faire fuir. Mais il revint pour une deuxième passe. Dans les six du leader cette fois, apparemment. Nous avons immédiatement resserré la formation pour mieux concentrer notre puissance de feu. Il tira une première rafale, tuant le mitrailleur de queue, Mike Brodery. Se rapprochant, il tira de nouveau, et les mitrailleurs Jack Hansley et Robert Jinghins du « Tumbling Thunder » ripostèrent. Le leader était sous le feu ennemi, des dizaines d’impacts étaient visibles, des plaques commencèrent à se détacher. Malgré nos efforts, nous ne parvenions pas à lui faire cesser le combat, quand son moteur droit se mit en panne. Mais il continue son attaque. Le moteur No2 du « Thunder » crache noir. Il se met à brûler ! Il faut qu’il largue ses bombes ! Alors que Wes Frienly, navigateur-bombardier du « Thunder », commence la séquence, l’allemand glisse sous le ventre du B-17. Je regarde, impuissant ce spectacle. Mais … L’allemand fonce droit sur une bombe ! C’est impossible !!
Une énorme explosion secoue le « Itching Daisy », l’Allemand vient d’exploser ! Immédiatement après, c’est le « Tumbling Thunder » qui explose à son tour ! J’ai peine à tenir mon appareil. Le ciel si calme il y a quelques instants est subitement devenu un nuage de tôles. Faisant tout mon possible, j’essaye de virer à droite pour éviter les débris, mais irrémédiablement, le « Itching Daisy » penche à gauche. On va passer au travers des débris. Ordre à tout l’équipage de se préparer à sauter et d’être prêt pour la zone de turbulence. Avec Steve Gossfield, mon copilote, nous nous cramponnons sur les commandes. Le « Daisy » est sauvagement secoué de toutes parts, le pare-brise se couvre d’huile, des bruits d’impacts résonnent dans le cockpit, et dans toute la carlingue. J’essaie de la maintenir en l’air. Les efforts au manches sont extrêmement violents, j’ai peine à la tenir, Steve sue à grosses gouttes également. C’est ainsi que je passe au milieu des débris de l’explosion, fragments de Messerschmitt et de Boeing entremêlés, fumants ou brûlants. Par chance, nous n’en touchons aucun.
Je rétabli l’avion. Je n’arrive pas à croire ce que je viens de voir. Mon copilote est sous le choc également. A la radio, c’est le silence complet, ceux qui ont vu n’osent y croire, ceux qui n’ont pas vu se taisent par respect aux morts. C’est Clark Walls, notre mitrailleur ventral qui a eu la vision de la chute des carcasses. Aucun parachute.
Plutôt que suivre la procédure et garder mes bombes et chercher une cible d’opportunité, j’ai largué mon chargement et pris un cap direct vers la base.
Le reste du vol se déroula sans encombre, dans un silence absolu, excepté les communications d’identification et de procédures.
C’était notre 25ème mission.