Pyjama Style
Publié : mar. nov. 26, 2013 9:48 pm
Note : ce texte a d'abord été publié sur la page Facebook du Groupe de Chasse 1/2 Cigognes. Les droits de reproduction appartiennent à son auteur, Sergio Rodrigues.
L'histoire que je vais vous raconter n'a rien d'une blague de comptoir, contée tard le soir après une longue semaine de vols harassants, ni même d'une légende urbaine que se passeraient les PIM de génération en génération pour se venger de leurs aînés.
Il y a quelques années, alors que le 2000 volait déjà à Dijon, un pilote de la 2 a connu son quart d'heure de gloire. Mais il s'en serait bien passé !
Tout commence dans le bâtiment d'alerte, celui réservé à la permanence opérationnelle, la fameuse PO. La belle machine est bien huilée avec des techniciens qui connaissent leur métier et deux pilotes expérimentés qui peuvent répondre à toutes les urgences sans bafouiller. Le but, connu de tous, est d'être prêt à décoller en urgence le plus vite possible, un art pratiqué avec sérieux par le personnel de la défense aérienne.
Si eux savent qu'ils sont capables de mettre en l'air avion et pilote dans un bel ensemble en moins de sept minutes, d'autres personnes, plus gradées et enterrées dans un bunker quelque part en France, souhaitent s'en assurer régulièrement. Alors, elles organisent des « practices », ces entraînements qui permettent d'instiller le réflexe dans la pratique et faire que cet instant délicat et chorégraphié soit réalisé sans anicroche. La procédure est simple : on fait sonner le signal de départ dans le bâtiment de la PO à des centaines de kilomètres de là, ce qui entraîne immanquablement agitation et précision de tous les hommes présents dans ce dernier. Ensuite, libre au contrôle de poursuivre le vol jusqu'à l'interception ou simplement d'annuler le départ, parce que c'était « juste pour voir si tout le monde suivait ».
Ceci expliqué, venons-en à notre pilote. Appelons-le Guy. C'est un chasseur comme un autre, avec des qualifications à jour, une expérience normale pour son niveau de compétence et un caractère qui est le sien. Et justement, là, il commence à laisser parler le côté obscur de sa personnalité car il est sérieusement en pétard !
L'explication de son mal-être passager, qui l'amène à employer un vocabulaire d'une grande créativité, notamment concernant les adjectifs, s'explique par la petite nuit qu'il est en train de passer. En effet, depuis qu'il a pris l'alerte nocturne, le contrôle l'a fait lever au pas de course à trois reprises pour finalement annuler le départ au dernier moment.
Pour être clair, la nuit, l'alerte passe à quinze minutes, ce qui permet aux deux pilotes de prendre une nuit de repos, comme n'importe quel travailleur qui se respecte. Celui qui est d'astreinte doit être capable, sitôt le klaxon retenti, de sauter dans sa combinaison, passer son pantalon anti-G, lacer ses bottes de vol, dévaler les marches quatre-à-quatre, attraper la Mae-West, éviter de se cogner contre les techniciens qui déboulent en même temps mal réveillés, sauter dans son avion, démarrer et décoller, le tout en moins de quinze minutes. Facile ? Oui, probablement. Et peut-être même amusant. Sauf quand ça arrive à trois reprises dans la même nuit et qu'à chaque fois, avant de quitter le hangar, l'alerte ne soit annulée pour des raisons diverses !
« Vindju... », pense Guy, « ils commencent sérieusement à me courir, ceux-là... ».
La Mae-West est raccrochée à son porte-manteau et le pas lourd, Guy remonte se coucher, se disant que demain, le collègue va doubler à +7 pour la peine. « Pas de raison que je fasse pas la sieste... ». Et Guy se rendort du sommeil de l'ouvrier fourbu.
Nouvelle alerte, nouveau klaxon, nouveau déchaînement de pas dans les escaliers. Guy, bien enfoncé dans son oreiller, n'en revient pas. Il jette un œil à sa montre. « Bordel, c'était y a trente minutes la dernière alerte ! 'font tous chier, ces £$# % !!! ». Il se lève, fait mine de saisir sa combinaison puis se ravise. « A tous les coups, ils ont décidé de me gonfler et c'est un faux départ... ». Il lace bien ses bottes, mais garde son pyjama, son beau pyjama jaune, passant simplement son anti-G par-dessus. Quitte à devoir refaire une fausse alerte, autant être prêt à sauter dans son lit le plus vite possible.
Idée de génie, cher Guy ! Inventivité, efficacité, les doigts dans le nez !
Ravi de sa trouvaille, il descend l'escalier, entre dans le hangar et, sous le regard médusé des techniciens, s'installe dans le cockpit et procède à la mise en route. « Ben quoi ? »
Tout se passe comme d'habitude : centrale, brêlage, au-revoir-pistard-adoré, démarrage du moteur, la-tour-je-m'en-vais, test freins, et là normalement, Luc Skywalker devrait agiter son sabre laser pour dire que le départ est bâché. Sauf que non...
A la suprême horreur de Guy, le départ s'enchaîne comme à la parade. Il est un spectateur de sa propre misère. Il assiste à son roulage, au décollage et au contact radio initial avec le contrôle pour lui confier sa mission d'interception. En pyjama !!
Contre mauvaise fortune bon cœur, Guy se concentre sur l'objectif du vol et sans plus se souvenir de son accoutrement inhabituel, ce bel habit nocturne canari, il réalise l'interception demandée. Cette dernière, plus longue qu'à l'accoutumée, pose rapidement un problème logistique que le personnel du CNOA s'efforce de résoudre : le carburant. En effet, l'avion de la PO est léger, avec deux missiles et un seul bidon supersonique pour lui permettre d'avoir des performances de vol optimales. Normalement, cette configuration suffit pour la plupart des missions de surveillance du ciel et si le besoin s'en fait sentir, un deuxième avion monte pour prendre le relais. Sauf que dans le cas présent, la durée du vol, mal estimée au départ, rend le retour de Guy vers son terrain d'origine plus que douteux. Par acquis de conscience et pour ne prendre aucun risque, décision est donc prise de le dérouter sur une autre base, plus proche et en mesure de l'accueillir à cette heure avancée de la nuit. Guy, en pilote discipliné, obtempère sans plus d'émotion, ce n'est pas la première fois qu'il déroute, loin de là.
La fin du vol est sans histoire, Guy se posant avec toutes les marges de sécurité. C'est lors du roulage que soudain, la lumière fut... Incapable de retenir un hoquet horrifié, il regarde ses manches et cette belle étoffe jaune, soyeuse et confortable. Un cadeau d'anniversaire du petit. En cherchant bien, il doit y avoir des lunes et des étoiles, quelque part. C'est un pyjama, après tout... Mortifié, il gagne l'aire de service éclairée où, déjà des pistards patientent. Il roule lentement, très lentement. Devant ses yeux, c'est le visage hilare, les larmes aux yeux, de ses camarades d'escadron qu'il voit.
Et dire que c'est bientôt les cadeaux-costards...
L'histoire que je vais vous raconter n'a rien d'une blague de comptoir, contée tard le soir après une longue semaine de vols harassants, ni même d'une légende urbaine que se passeraient les PIM de génération en génération pour se venger de leurs aînés.
Il y a quelques années, alors que le 2000 volait déjà à Dijon, un pilote de la 2 a connu son quart d'heure de gloire. Mais il s'en serait bien passé !
Tout commence dans le bâtiment d'alerte, celui réservé à la permanence opérationnelle, la fameuse PO. La belle machine est bien huilée avec des techniciens qui connaissent leur métier et deux pilotes expérimentés qui peuvent répondre à toutes les urgences sans bafouiller. Le but, connu de tous, est d'être prêt à décoller en urgence le plus vite possible, un art pratiqué avec sérieux par le personnel de la défense aérienne.
Si eux savent qu'ils sont capables de mettre en l'air avion et pilote dans un bel ensemble en moins de sept minutes, d'autres personnes, plus gradées et enterrées dans un bunker quelque part en France, souhaitent s'en assurer régulièrement. Alors, elles organisent des « practices », ces entraînements qui permettent d'instiller le réflexe dans la pratique et faire que cet instant délicat et chorégraphié soit réalisé sans anicroche. La procédure est simple : on fait sonner le signal de départ dans le bâtiment de la PO à des centaines de kilomètres de là, ce qui entraîne immanquablement agitation et précision de tous les hommes présents dans ce dernier. Ensuite, libre au contrôle de poursuivre le vol jusqu'à l'interception ou simplement d'annuler le départ, parce que c'était « juste pour voir si tout le monde suivait ».
Ceci expliqué, venons-en à notre pilote. Appelons-le Guy. C'est un chasseur comme un autre, avec des qualifications à jour, une expérience normale pour son niveau de compétence et un caractère qui est le sien. Et justement, là, il commence à laisser parler le côté obscur de sa personnalité car il est sérieusement en pétard !
L'explication de son mal-être passager, qui l'amène à employer un vocabulaire d'une grande créativité, notamment concernant les adjectifs, s'explique par la petite nuit qu'il est en train de passer. En effet, depuis qu'il a pris l'alerte nocturne, le contrôle l'a fait lever au pas de course à trois reprises pour finalement annuler le départ au dernier moment.
Pour être clair, la nuit, l'alerte passe à quinze minutes, ce qui permet aux deux pilotes de prendre une nuit de repos, comme n'importe quel travailleur qui se respecte. Celui qui est d'astreinte doit être capable, sitôt le klaxon retenti, de sauter dans sa combinaison, passer son pantalon anti-G, lacer ses bottes de vol, dévaler les marches quatre-à-quatre, attraper la Mae-West, éviter de se cogner contre les techniciens qui déboulent en même temps mal réveillés, sauter dans son avion, démarrer et décoller, le tout en moins de quinze minutes. Facile ? Oui, probablement. Et peut-être même amusant. Sauf quand ça arrive à trois reprises dans la même nuit et qu'à chaque fois, avant de quitter le hangar, l'alerte ne soit annulée pour des raisons diverses !
« Vindju... », pense Guy, « ils commencent sérieusement à me courir, ceux-là... ».
La Mae-West est raccrochée à son porte-manteau et le pas lourd, Guy remonte se coucher, se disant que demain, le collègue va doubler à +7 pour la peine. « Pas de raison que je fasse pas la sieste... ». Et Guy se rendort du sommeil de l'ouvrier fourbu.
Nouvelle alerte, nouveau klaxon, nouveau déchaînement de pas dans les escaliers. Guy, bien enfoncé dans son oreiller, n'en revient pas. Il jette un œil à sa montre. « Bordel, c'était y a trente minutes la dernière alerte ! 'font tous chier, ces £$# % !!! ». Il se lève, fait mine de saisir sa combinaison puis se ravise. « A tous les coups, ils ont décidé de me gonfler et c'est un faux départ... ». Il lace bien ses bottes, mais garde son pyjama, son beau pyjama jaune, passant simplement son anti-G par-dessus. Quitte à devoir refaire une fausse alerte, autant être prêt à sauter dans son lit le plus vite possible.
Idée de génie, cher Guy ! Inventivité, efficacité, les doigts dans le nez !
Ravi de sa trouvaille, il descend l'escalier, entre dans le hangar et, sous le regard médusé des techniciens, s'installe dans le cockpit et procède à la mise en route. « Ben quoi ? »
Tout se passe comme d'habitude : centrale, brêlage, au-revoir-pistard-adoré, démarrage du moteur, la-tour-je-m'en-vais, test freins, et là normalement, Luc Skywalker devrait agiter son sabre laser pour dire que le départ est bâché. Sauf que non...
A la suprême horreur de Guy, le départ s'enchaîne comme à la parade. Il est un spectateur de sa propre misère. Il assiste à son roulage, au décollage et au contact radio initial avec le contrôle pour lui confier sa mission d'interception. En pyjama !!
Contre mauvaise fortune bon cœur, Guy se concentre sur l'objectif du vol et sans plus se souvenir de son accoutrement inhabituel, ce bel habit nocturne canari, il réalise l'interception demandée. Cette dernière, plus longue qu'à l'accoutumée, pose rapidement un problème logistique que le personnel du CNOA s'efforce de résoudre : le carburant. En effet, l'avion de la PO est léger, avec deux missiles et un seul bidon supersonique pour lui permettre d'avoir des performances de vol optimales. Normalement, cette configuration suffit pour la plupart des missions de surveillance du ciel et si le besoin s'en fait sentir, un deuxième avion monte pour prendre le relais. Sauf que dans le cas présent, la durée du vol, mal estimée au départ, rend le retour de Guy vers son terrain d'origine plus que douteux. Par acquis de conscience et pour ne prendre aucun risque, décision est donc prise de le dérouter sur une autre base, plus proche et en mesure de l'accueillir à cette heure avancée de la nuit. Guy, en pilote discipliné, obtempère sans plus d'émotion, ce n'est pas la première fois qu'il déroute, loin de là.
La fin du vol est sans histoire, Guy se posant avec toutes les marges de sécurité. C'est lors du roulage que soudain, la lumière fut... Incapable de retenir un hoquet horrifié, il regarde ses manches et cette belle étoffe jaune, soyeuse et confortable. Un cadeau d'anniversaire du petit. En cherchant bien, il doit y avoir des lunes et des étoiles, quelque part. C'est un pyjama, après tout... Mortifié, il gagne l'aire de service éclairée où, déjà des pistards patientent. Il roule lentement, très lentement. Devant ses yeux, c'est le visage hilare, les larmes aux yeux, de ses camarades d'escadron qu'il voit.
Et dire que c'est bientôt les cadeaux-costards...