Interception nocturne
Publié : mar. nov. 26, 2013 9:45 pm
Note : ce texte a d'abord été publié sur la page Facebook du Groupe de Chasse 1/2 Cigognes. Les droits de reproduction appartiennent à son auteur, Sergio Rodrigues.
21 heures et il fait noir comme dans le cul d'un âne. Du moins, c'est comme ça que l'imagine Greg. Encore deux heures en alerte à sept minutes avant de pouvoir enlever l'anti-G et plonger sous la couette. La météo est clairement à l'orage et la nuit devrait être sérieusement agitée. Au dernier topo météo, on annonçait des cellules orageuses un peu partout sur la France, dont certaines culminant à plus de 15000 mètres. Dehors, l'apocalypse est déjà là avec le tonnerre, les éclairs, le vent et une pluie forte.
A l'intérieur, les mécanos finissent de ranger la cuisine en compagnie du deuxième pilote, Breizh, qui comme ne l'indique pas son surnom, est normand. Des rires fusent, des bonnes blagues. L'ambiance est sympa. De son côté, Greg jette un œil distrait à sa correspondance internet et échange des messages avec sa femme sur Facebook. Le petit aligne rhume sur rhume et cela fait plusieurs nuits qu'il dort mal. Elle craque un peu.
Greg est tendu ce soir, pas très serein, pas comme d'habitude. Un sixième sens ? Il sait que des nuits pareilles offrent un rare éventail de possibilités pour se faire peur. Il sent venir le mauvais coup : pilote égaré, avion en panne radio, intrusion en ZIT... Toutes ont une conclusion identique : son départ précipité en plein Armageddon. Il fonctionne par automatisme, discutant sur le « chat » comme en tâche de fond, sur le qui-vive, rassurant et calmant son épouse. Les joies de la vie du militaire. Même loin, il est concerné, ce qui ajoute à sa frustration, son impuissance. Il jette un bref coup d’œil à l'horloge murale. 21 h 11.
Greg est un sous-chef de patrouille au Groupe de Chasse ½ Cigognes avec un peu moins de 600 heures sur Mirage 2000-5. Cela fait maintenant trois ans qu'il a rejoint l'unité, où il a grandi en tant que pilote de chasse, apprenant des aînés tout ce qu'il fallait savoir de l'art délicat de la défense aérienne. De même, à peine opérationnel, il avait été modelé par la pratique de la PO, cette longue phase d'attente ponctuée par quelques moments de tension. Ce soir, c'est probablement sa centième nuit au piquet d'alerte, juste une de plus au boulot. Sauf que le temps est totalement merdique...
Malgré son état de vigilance, il est surpris par le klaxon du scramble, sidéré pendant une demi-seconde que cela lui arrive, à lui. Par une putain de soirée de putain de tempête ! Puis tout s'enchaîne, par réflexe, sans y penser. Il est debout alors qu'un nouveau message de sa femme s'affiche à l'écran. Il n'est plus concerné, ça attendra. Il attrape son gilet de survie et se rue vers l'accès au hangar. Du coin de l’œil, il aperçoit les mécanos franchissant la porte de la cuisine. L'un d'eux, le regard levé vers les voyants d'information, annonce « jaune ! ». C'est l'avion « live », mais il le savait déjà, peut-être parce que ses yeux avaient croisé les voyants dans leur parcours vers l'équipement suspendu au porte-manteau.
Il est dans le hangar. Le tumulte du vent et de la pluie ne l'émeut pas. Il passe sous le nez de l'avion, s'arrête quelques instants pour enfiler ses rappels de jambières et monte dans le cockpit. Derrière lui, le pistard est déjà là. Pas un mot n'est échangé. Greg s'installe. Le pistard lui passe son casque et saisit les sangles. Le reste de l'équipe s'active. Les cales sont retirées, les goupilles de sécurité des missiles enlevées. La centrale s'aligne lentement. Le pilote branche les différents embouts de son casque et vérifie que l'oxygène circule. D'un léger signe de tête au pistard, il signale qu'il est prêt à fermer la verrière. Le technicien lui rend son salut, sans parvenir à masquer complètement son inquiétude. Il sait que les risques sont plus importants ce soir.
L'échelle est retirée. Greg est dans sa bulle. Il lance le moteur et observe les paramètres s'équilibrer progressivement. Il contacte la tour et annonce son départ sur alerte. Il est prioritaire, ce qui est sans importance puisque les vols de nuits programmés avaient été bâchés il y a plusieurs heures. Dans le même laps de temps, il vérifie l'intégrité des systèmes, les commandes de vol électriques. Tout est ok. Il signale au personnel au sol qu'il est maintenant prêt à quitter le hangar. Les feux de roulage sont allumés et pour la première fois, il regarde au delà du hangar où un rideau massif de pluie l'attend. A sa droite, Breizh l'observe. Les doigts dans les oreilles, il articule silencieusement un seul mot. Assistance. Merde, ça rigole plus.
Lâcher des freins. L'avion avance. Test freinage. Ok. Le pistard s'efface. La pluie. L'obscurité. Immédiatement, Greg est absorbé dans une dimension liquide. Il actionne la soufflante du pare-brise pour y voir quelque chose devant lui. Gaffe à ne pas glisser. Le seuil de piste. Accélération. Plein gaz. Encore quelques secondes et les roues quittent le sol. Six minutes.
« Maraud Whisky airborne ». Le contrôle réagit aussitôt.
- Maraud Whisky, vous avez décollé pour une mission d'assistance en vol, votre cible est dans le 280 pour 60 nautiques, prenez immédiatement le cap 210, montez à 15000 pieds.
« Copy ».
Pas la peine de regarder dehors, il n'y a rien. Greg garde la tête dans le cockpit, occupé à gérer son interception radar. Normalement, il ne devrait pas l'allumer à cause des risques de foudroiement, mais nécessité fait loi. Ça secoue drôlement. La vue se brouille, les infos de la VTB sont difficiles à lire. Des éclairs. Un œil sur la VTH pour contrôler vitesse et incidence. Le cycle du vol sans visibilité s'installe. Horizon, incidence, vitesse. Horizon, incidence, vitesse. Le contrôleur d'interception est aux petits soins. Greg a les mains pleines, les cases bien occupées. Le pilotage, la géométrie d'inter, le radar. La distance se réduit rapidement car malgré une météo exécrable, le chasseur avale l'espace à bonne vitesse. Soudain, Greg obtient un contact radar. Il utilise sa science du SNA pour affiner l'image. C'est lui. « Judy ». 5000 pieds, 200 nœuds. Va y avoir du sport.
Il pleut dehors mais Greg transpire. Pour une interception, il faut obtenir un visuel et au milieu de ce tumulte, c'est tout sauf facile. Déjà en plein jour, c'est coton, alors de nuit, c'est un exploit à noter au Guinness. L'avion traverse des rideaux de pluie, il est remué comme des billes dans un sac, les éclairs sont aveuglants. Réduire doucement. Éviter la collision, garder une marge de sécurité. Greg fouille le ciel juste en dessous de lui. Il devrait être là, à gauche de son nez, un peu plus bas, mais rien. Retour au radar. Le contact tient. Penser à faire une bise au technicien SNA en rentrant. Retour dehors. PUTAIN !! Dans un éclair, l'avion est là, juste sous le Mirage, en virage à droite. Un King Air. Il vole feux éteints. L'action a duré une fraction de seconde.
Greg le dépasse et sans même réfléchir, le regard rivé sur la cible, il vire sec. Le chasseur ne rend pas tous les degrés qu'il souhaiterait. Il sort les aérofreins. L'avion réagit automatiquement et prend de l'incidence. Il reste pilotable malgré une vitesse un peu limite. Merci monsieur Dassault. A aucun moment Greg n'a regardé les paramètres, il a réagi d'instinct, aux fesses.
Grâce aux éclairs, il a réussi à conserver l'avion en perdition à vue.
« Contrôle, j'ai un contact visuel. C'est un King Air. Il vole feux éteints. »
- Maraud Whisky, c'est lui. Rassemblez.
« Maraud copy ».
Doucement, par petites touches sur le manche et les gaz, Greg vient se placer à côté de l'avion en perdition. Il procède aux actions prévues. Pas de contact radio. Le pilote, éclairé par les feux de position du Mirage, est difficile à discerner. Greg se concerte avec le contrôle sur la marche à suivre. Évidemment, on ne va pas le laisser dans sa misère. On le ramène. Du moins, on va essayer. Si le gars ne panique pas, s'il arrive à suivre, s'il sait garder sa position dans une formation. Si. Si. D'un mouvement du doigt, Greg coupe et rallume ses feux à plusieurs reprises. Il bat des ailes. Le King répond et bat des plans. Greg peut remercier les éclairs, sans quoi il n'aurait rien vu. Doucement, il incline le -5 à gauche. Il se retourne. Le Beech suit. Pourvu que ça dure. Greg prend une grande respiration et exhale doucement. Reste calme, détends-toi.
Le contrôle lui indique un terrain à dix minutes de vol. Des éclairs zèbrent le ciel. Il perçoit même le tonnerre malgré le bruit ambiant. L'orage est partout. Lentement, la paire inédite descend. Les avions sont secoués mais le brave petit King Air s'accroche. Le gars doit être un ancien militaire, il reste bien en place. Greg a pris contact avec l'aérodrome de secours. Il gère la navigation et assume l'anti-collision. Le vol est d'une exigence rare, toute la dextérité du pilotage à basse vitesse y passe, toute sa compétence comme pilote d'interception. Brusquement, dans une trouée, pile où elle devrait être, la piste apparaît. Comme un arbre illuminé. C'est Noël ! Greg sort le train, imité par son compagnon. Encore un balancement des ailes et le -5 libère la ligne d'approche. Greg lève le nez et s'éloigne de quelques mètres. Il alterne le visuel sur la piste et sur le naufragé des airs. 300 pieds. Greg accélère légèrement, le King Air passe sous le plan du Mirage. 100 pieds. Greg respire mieux. Un souffle d'athlète, de récupération. Le Beech roule. C'est bon.
Le Mirage rentre le train, reprend de l'altitude et s'éloigne. Du coin de l’œil, Greg a aperçu des gyrophares bleus. Le Beech était attendu. Il signale au contrôle la fin de la mission d'assistance. Il est libéré et peut rentrer à la base. Encore quinze minutes à se faire secouer comme un prunier, mais la tension est moindre, c'est presque une balade d'agrément. L'attention reste cependant totale, les conditions étant assez limites.
Le circuit d'approche est écourté. La finale est éprouvante à cause des rafales de vent. Enfin, après une heure de lutte au milieu des éléments déchaînés, Greg se pose. Il relâche la pression, ses épaules s'affaissent de soulagement. Il a mal partout. Putain de soirée.
Mais ça valait le coup.
21 heures et il fait noir comme dans le cul d'un âne. Du moins, c'est comme ça que l'imagine Greg. Encore deux heures en alerte à sept minutes avant de pouvoir enlever l'anti-G et plonger sous la couette. La météo est clairement à l'orage et la nuit devrait être sérieusement agitée. Au dernier topo météo, on annonçait des cellules orageuses un peu partout sur la France, dont certaines culminant à plus de 15000 mètres. Dehors, l'apocalypse est déjà là avec le tonnerre, les éclairs, le vent et une pluie forte.
A l'intérieur, les mécanos finissent de ranger la cuisine en compagnie du deuxième pilote, Breizh, qui comme ne l'indique pas son surnom, est normand. Des rires fusent, des bonnes blagues. L'ambiance est sympa. De son côté, Greg jette un œil distrait à sa correspondance internet et échange des messages avec sa femme sur Facebook. Le petit aligne rhume sur rhume et cela fait plusieurs nuits qu'il dort mal. Elle craque un peu.
Greg est tendu ce soir, pas très serein, pas comme d'habitude. Un sixième sens ? Il sait que des nuits pareilles offrent un rare éventail de possibilités pour se faire peur. Il sent venir le mauvais coup : pilote égaré, avion en panne radio, intrusion en ZIT... Toutes ont une conclusion identique : son départ précipité en plein Armageddon. Il fonctionne par automatisme, discutant sur le « chat » comme en tâche de fond, sur le qui-vive, rassurant et calmant son épouse. Les joies de la vie du militaire. Même loin, il est concerné, ce qui ajoute à sa frustration, son impuissance. Il jette un bref coup d’œil à l'horloge murale. 21 h 11.
Greg est un sous-chef de patrouille au Groupe de Chasse ½ Cigognes avec un peu moins de 600 heures sur Mirage 2000-5. Cela fait maintenant trois ans qu'il a rejoint l'unité, où il a grandi en tant que pilote de chasse, apprenant des aînés tout ce qu'il fallait savoir de l'art délicat de la défense aérienne. De même, à peine opérationnel, il avait été modelé par la pratique de la PO, cette longue phase d'attente ponctuée par quelques moments de tension. Ce soir, c'est probablement sa centième nuit au piquet d'alerte, juste une de plus au boulot. Sauf que le temps est totalement merdique...
Malgré son état de vigilance, il est surpris par le klaxon du scramble, sidéré pendant une demi-seconde que cela lui arrive, à lui. Par une putain de soirée de putain de tempête ! Puis tout s'enchaîne, par réflexe, sans y penser. Il est debout alors qu'un nouveau message de sa femme s'affiche à l'écran. Il n'est plus concerné, ça attendra. Il attrape son gilet de survie et se rue vers l'accès au hangar. Du coin de l’œil, il aperçoit les mécanos franchissant la porte de la cuisine. L'un d'eux, le regard levé vers les voyants d'information, annonce « jaune ! ». C'est l'avion « live », mais il le savait déjà, peut-être parce que ses yeux avaient croisé les voyants dans leur parcours vers l'équipement suspendu au porte-manteau.
Il est dans le hangar. Le tumulte du vent et de la pluie ne l'émeut pas. Il passe sous le nez de l'avion, s'arrête quelques instants pour enfiler ses rappels de jambières et monte dans le cockpit. Derrière lui, le pistard est déjà là. Pas un mot n'est échangé. Greg s'installe. Le pistard lui passe son casque et saisit les sangles. Le reste de l'équipe s'active. Les cales sont retirées, les goupilles de sécurité des missiles enlevées. La centrale s'aligne lentement. Le pilote branche les différents embouts de son casque et vérifie que l'oxygène circule. D'un léger signe de tête au pistard, il signale qu'il est prêt à fermer la verrière. Le technicien lui rend son salut, sans parvenir à masquer complètement son inquiétude. Il sait que les risques sont plus importants ce soir.
L'échelle est retirée. Greg est dans sa bulle. Il lance le moteur et observe les paramètres s'équilibrer progressivement. Il contacte la tour et annonce son départ sur alerte. Il est prioritaire, ce qui est sans importance puisque les vols de nuits programmés avaient été bâchés il y a plusieurs heures. Dans le même laps de temps, il vérifie l'intégrité des systèmes, les commandes de vol électriques. Tout est ok. Il signale au personnel au sol qu'il est maintenant prêt à quitter le hangar. Les feux de roulage sont allumés et pour la première fois, il regarde au delà du hangar où un rideau massif de pluie l'attend. A sa droite, Breizh l'observe. Les doigts dans les oreilles, il articule silencieusement un seul mot. Assistance. Merde, ça rigole plus.
Lâcher des freins. L'avion avance. Test freinage. Ok. Le pistard s'efface. La pluie. L'obscurité. Immédiatement, Greg est absorbé dans une dimension liquide. Il actionne la soufflante du pare-brise pour y voir quelque chose devant lui. Gaffe à ne pas glisser. Le seuil de piste. Accélération. Plein gaz. Encore quelques secondes et les roues quittent le sol. Six minutes.
« Maraud Whisky airborne ». Le contrôle réagit aussitôt.
- Maraud Whisky, vous avez décollé pour une mission d'assistance en vol, votre cible est dans le 280 pour 60 nautiques, prenez immédiatement le cap 210, montez à 15000 pieds.
« Copy ».
Pas la peine de regarder dehors, il n'y a rien. Greg garde la tête dans le cockpit, occupé à gérer son interception radar. Normalement, il ne devrait pas l'allumer à cause des risques de foudroiement, mais nécessité fait loi. Ça secoue drôlement. La vue se brouille, les infos de la VTB sont difficiles à lire. Des éclairs. Un œil sur la VTH pour contrôler vitesse et incidence. Le cycle du vol sans visibilité s'installe. Horizon, incidence, vitesse. Horizon, incidence, vitesse. Le contrôleur d'interception est aux petits soins. Greg a les mains pleines, les cases bien occupées. Le pilotage, la géométrie d'inter, le radar. La distance se réduit rapidement car malgré une météo exécrable, le chasseur avale l'espace à bonne vitesse. Soudain, Greg obtient un contact radar. Il utilise sa science du SNA pour affiner l'image. C'est lui. « Judy ». 5000 pieds, 200 nœuds. Va y avoir du sport.
Il pleut dehors mais Greg transpire. Pour une interception, il faut obtenir un visuel et au milieu de ce tumulte, c'est tout sauf facile. Déjà en plein jour, c'est coton, alors de nuit, c'est un exploit à noter au Guinness. L'avion traverse des rideaux de pluie, il est remué comme des billes dans un sac, les éclairs sont aveuglants. Réduire doucement. Éviter la collision, garder une marge de sécurité. Greg fouille le ciel juste en dessous de lui. Il devrait être là, à gauche de son nez, un peu plus bas, mais rien. Retour au radar. Le contact tient. Penser à faire une bise au technicien SNA en rentrant. Retour dehors. PUTAIN !! Dans un éclair, l'avion est là, juste sous le Mirage, en virage à droite. Un King Air. Il vole feux éteints. L'action a duré une fraction de seconde.
Greg le dépasse et sans même réfléchir, le regard rivé sur la cible, il vire sec. Le chasseur ne rend pas tous les degrés qu'il souhaiterait. Il sort les aérofreins. L'avion réagit automatiquement et prend de l'incidence. Il reste pilotable malgré une vitesse un peu limite. Merci monsieur Dassault. A aucun moment Greg n'a regardé les paramètres, il a réagi d'instinct, aux fesses.
Grâce aux éclairs, il a réussi à conserver l'avion en perdition à vue.
« Contrôle, j'ai un contact visuel. C'est un King Air. Il vole feux éteints. »
- Maraud Whisky, c'est lui. Rassemblez.
« Maraud copy ».
Doucement, par petites touches sur le manche et les gaz, Greg vient se placer à côté de l'avion en perdition. Il procède aux actions prévues. Pas de contact radio. Le pilote, éclairé par les feux de position du Mirage, est difficile à discerner. Greg se concerte avec le contrôle sur la marche à suivre. Évidemment, on ne va pas le laisser dans sa misère. On le ramène. Du moins, on va essayer. Si le gars ne panique pas, s'il arrive à suivre, s'il sait garder sa position dans une formation. Si. Si. D'un mouvement du doigt, Greg coupe et rallume ses feux à plusieurs reprises. Il bat des ailes. Le King répond et bat des plans. Greg peut remercier les éclairs, sans quoi il n'aurait rien vu. Doucement, il incline le -5 à gauche. Il se retourne. Le Beech suit. Pourvu que ça dure. Greg prend une grande respiration et exhale doucement. Reste calme, détends-toi.
Le contrôle lui indique un terrain à dix minutes de vol. Des éclairs zèbrent le ciel. Il perçoit même le tonnerre malgré le bruit ambiant. L'orage est partout. Lentement, la paire inédite descend. Les avions sont secoués mais le brave petit King Air s'accroche. Le gars doit être un ancien militaire, il reste bien en place. Greg a pris contact avec l'aérodrome de secours. Il gère la navigation et assume l'anti-collision. Le vol est d'une exigence rare, toute la dextérité du pilotage à basse vitesse y passe, toute sa compétence comme pilote d'interception. Brusquement, dans une trouée, pile où elle devrait être, la piste apparaît. Comme un arbre illuminé. C'est Noël ! Greg sort le train, imité par son compagnon. Encore un balancement des ailes et le -5 libère la ligne d'approche. Greg lève le nez et s'éloigne de quelques mètres. Il alterne le visuel sur la piste et sur le naufragé des airs. 300 pieds. Greg accélère légèrement, le King Air passe sous le plan du Mirage. 100 pieds. Greg respire mieux. Un souffle d'athlète, de récupération. Le Beech roule. C'est bon.
Le Mirage rentre le train, reprend de l'altitude et s'éloigne. Du coin de l’œil, Greg a aperçu des gyrophares bleus. Le Beech était attendu. Il signale au contrôle la fin de la mission d'assistance. Il est libéré et peut rentrer à la base. Encore quinze minutes à se faire secouer comme un prunier, mais la tension est moindre, c'est presque une balade d'agrément. L'attention reste cependant totale, les conditions étant assez limites.
Le circuit d'approche est écourté. La finale est éprouvante à cause des rafales de vent. Enfin, après une heure de lutte au milieu des éléments déchaînés, Greg se pose. Il relâche la pression, ses épaules s'affaissent de soulagement. Il a mal partout. Putain de soirée.
Mais ça valait le coup.